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toute force protéger le pouvoir, lequel ne sent pas absolument la nécessité d’une telle protection. Ces étranges protecteurs ont besoin de trouver un but à leur zèle : s’ils ne découvraient pas ou ne supposaient pas des ennemis, à quoi serviraient-ils ? Ils ne voient pas que là où le pouvoir est armé de facultés administratives considérables, supposer des intentions au lieu de discuter des opinions, signaler de prétendus systèmes d’hostilité, désigner des fonctionnaires coupables d’avoir du talent et d’écrire selon leur goût, cela prend un nom dans toutes les langues humaines. Qu’en est-il résulté jusqu’ici, dira-t-on ? Rien. Cela prouve que le pouvoir, jugeant de plus haut, attache un juste prix à ces intempérances ; cela ne prouve pas que ceux qui se livrent à ce singulier métier soient innocens parce qu’ils sont impuissans. Le gouvernement en effet, et c’est son honneur comme aussi c’est son intérêt, peut se mettre facilement au-dessus de ces excès de zèle. Il ne se croit pas tenu de voir un danger dans la liberté de parole d’un professeur ou dans une immunité académique. On l’a vu récemment encore. L’Institut a eu à défendre une de ses prérogatives au sujet de la nomination d’un de ses fonctionnaires : ce fonctionnaire serait-il nommé par l’administration ou par l’Institut ? Le gouvernement n’a point eu de peine à sanctionner le droit qu’a l’Institut de s’administrer lui-même. Et pourquoi le gouvernement s’est-il ainsi arrêté devant cette simple et légitime revendication ? Parce qu’il a reconnu que l’unité de direction administrative, nécessaire et utile quand elle s’applique aux choses matérielles, devient impuissante ou malfaisante quand elle prétend régler les choses de l’intelligence, parce qu’il a vu que, dans ce privilège académique, il y avait une garantie de liberté qui, en tournant au profit de la science et de l’art, tourne au profit du pays lui-même.

Dans un corps tel que l’Institut, où se rassemblent des traditions, des convenances, des influences de différente nature, et qui reste la seule chose à peu près immuable à travers tant de variations, il est un degré d’indépendance qui est la vie même, et c’est en cela que les académies apparaissent réellement comme des institutions, au lieu d’être une collection banale de talens réunis au hasard. En cherchant à se préserver des envahissemens de l’esprit administratif, l’Institut défend justement cette indépendance de la littérature, de l’art et de la science. Il pourrait y avoir quelquefois cependant un ennemi d’un autre genre pour l’Institut et particulièrement pour l’Académie française : c’est l’esprit de coterie, qui n’est pas l’esprit de corps. Qu’est-ce donc que l’esprit de coterie ? C’est cet esprit de combinaison intime qui puise dans toute sorte de considérations, sauf dans les considérations littéraires et scientifiques, les motifs d’un choix à faire ou d’une récompense à décerner. Le talent se trouve-t-il de plus par hasard dans l’homme ou dans l’œuvre, ce sera véritablement heureux ; s’il n’y était pas, le choix serait absolument le même. Il suffit qu’il réponde à certains arrangemens préparés par des mains habiles dans une ombre discrète. L’Académie française, à l’heure actuelle, est en travail d’une double élection désormais prochaine : qui va-t-elle nommer ? Ce ne sont pas sans doute les candidats qui manqueraient ; ils abondent. Il en est qui consentiraient volontiers à se désigner eux-mêmes, et ce ne sont pas, on le pense, les plus sérieux ; il est aussi des candidats avoués et désignés en quelque sorte par le suffrage anti-