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de l’organisation des principautés a rapproché les deux états ; la question de la navigation du Danube les divise aujourd’hui. D’ailleurs n’est-ce pas une tradition pour l’Angleterre de ne point se lier par des alliances permanentes ? Lord Palmerston particulièrement aurait-il consenti à effacer de la politique le nom de l’Italie ? Si tout se réduit à une entente spéciale sur un point précis, il n’y a rien en cela qui soit en désaccord avec les données actuelles de la politique. La seule explication possible d’une telle combinaison eût été cet autre rapprochement dont on a parlé quelquefois entre la France et la Russie ; mais alors il n’y avait point réellement coalition, la France n’était point isolée. L’Europe était partagée en deux. Heureusement les faits démentent ici les conjectures.

Les coalitions ! elles ne se nouent pas ainsi, ce nous semble ; il est assez inutile de les consigner dans des protocoles qui risquent de rester une lettre morte. L’alliance qui a subsisté longtemps, après 1815, entre les principales puissances, qui a été restreinte ensuite aux trois premières cours du Nord, et qui reposait sur une identité de principes d’action, sur la solidarité dans la défense d’une certaine politique en Europe, cette alliance était une coalition permanente. Elle s’est affaiblie peu à peu pour disparaître dans le dernier conflit. La politique des alliances de principes a été remplacée réellement par une politique d’intérêts. Or les intérêts sont mobiles et se heurtent souvent. Ils font de la vie diplomatique une succession de dissidences et de rapprochemens, justement ce que nous voyons aujourd’hui. Ils ne peuvent donner naissance qu’à des coalitions de circonstance, nouées par la force des choses, ayant un but précis, et déterminées surtout par la faute d’un gouvernement surpris en flagrant délit d’agression contre la paix publique. Alors tout change, sans qu’il y ait eu de protocoles. On a eu ce spectacle il y a quelques années. Quelle est la puissance qui paraissait plus isolée que la France au lendemain de la résurrection de l’empire ? Peu après cependant elle avait un des premiers rôles dans les affaires européennes. Quel pays semblait avoir de plus solides alliances et exercer un plus grand ascendant que la Russie ? Bientôt pourtant la Russie avait tout le monde contre elle. Et quel était l’unique auteur de ce prodigieux changement dans la situation de l’Europe ? Il n’y en avait point d’autre que l’empereur Nicolas lui-même. Les conventions secrètes n’avaient certes joué aucun rôle dans ces surprenantes évolutions. Cela veut dire qu’il n’y a de coalitions possibles aujourd’hui que contre ceux, qui les provoquent par leurs fautes, en inquiétant ou en violentant tous les intérêts, et c’est une politique que la France doit peu songer à pratiquer pour elle, après l’avoir combattue chez les autres. S’il reste quelque chose à éclaircir dans ces mystères diplomatiques M. Disraeli, à la prochaine réunion du parlement anglais, ne manquera pas sans doute d’amener lord Palmerston sur ce terrain, et on verra, nous le supposons, s’évanouir ce nouveau fantôme des polémiques actuelles.

Le plus clair au moment où nous sommes, c’est qu’en l’absence d’un principe supérieur de politique qui règle toutes les situations et auquel se subordonnent toutes les considérations secondaires, il y a des dissidences inévitables qui naissent de l’antagonisme des intérêts, comme aussi il y a des affinités naturelles. L’Angleterre n’a point partagé toutes les vues de la France au