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CONFIDENCES
D'UN HYPOCONDRIAQUE



Je voudrais décrire un fort singulier état de l’âme que j’ai vu de très près, et que je crois connaître parfaitement. Ce n’est autre chose que la vieille maladie connue depuis longtemps sous le nom d’ennui, mais l’ennui arriva jusqu’à ses dernières limites, et pénétrant l’être physique tout entier de ses poisons subtils et de ses énervantes léthargies. À celui qui posséderait la plume du violent Swift, il serait facile, avec cette simple description, de faire un de ces pamphlets comme il savait les faire, un de ces pamphlets où il concentrait en quelques pages toute l’énergie de cette haine qui aurait pu suffire à une génération entière de cœurs haineux ; mais je ne possède pas la plume de l’illustre misanthrope, et n’ayant d’ailleurs aucun sentiment personnel à mêler à cette description, je dois me borner à transcrire le plus exactement possible les confessions qui m’ont été faites un certain jour. Je voudrais les transcrire sans aucune mise en scène littéraire, comme un naturaliste décrit une plante inconnue, ou comme un médecin décrit une maladie, sèchement, avec méthode et précision. Un pareil travail, s’il était accompli par un esprit attentif et délicat, ne serait inutile, je le crois, ni au moraliste, ni au médecin, ni à l’historien futur des mœurs contemporaines. Le premier y trouverait la preuve que la nature humaine a des ressources infinies, même lorsqu’elle est placée dans les conditions les plus déplorables ; le second y trouverait des indications certaines sur le tempérament des hommes d’aujourd’hui et sur les causes de leurs bizarres maladies, qui se concentrent de plus