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Nankin, avait alors une flotte formidable qui appuyait sa marche et suivait tous ses mouvemens, tandis que, dans les circonstances actuelles, sur le nouveau théâtre de la lutte, les canonnières mêmes ne pourront, malgré leur faible tirant d’eau, prêter leur concours à l’armée d’invasion. Néanmoins le résultat ne peut être douteux, et il est certain que l’approche des barbares de la capitale de son empire forcerait l’empereur à toutes les concessions. Seulement quelle sera la garantie matérielle de l’exécution du traité qui les consacrera ?

Les stipulations de Nankin, celles de Whampoa et de Wang-hin n’ont jamais été complètement remplies ; celles du nouveau traité, soit que la guerre et de nouvelles victoires, soit qu’une simple démonstration armée dans le golfe de Pe-tchi-li en amène la conclusion, seront-elles plus fidèlement exécutées ? L’empereur Yen-foung montrera-t-il plus de bonne foi que Tao-kwang ? La loyauté de ses conseillera sera-t-elle plus scrupuleuse, ou du moins plus efficace que celle des Ki-yng et des Muhchangah ? L’histoire des quinze dernières années doit ici servir de guide. Tant que l’île de Chusan fut aux mains des forces anglaises, l’esprit de haine et de résistance se déguisa sous les apparences d’une loyauté égale à celle de l’Angleterre. Ce gage rendu, il se dévoila soudain.

L’Angleterre et la France ne peuvent vouloir de conquêtes dans le Céleste-Empire ; elles ne peuvent désirer la chute de ce colosse aux pieds d’argile. Cette chute servirait trop bien les ambitions secrètes d’un rival trop puissant déjà. Les deux nations veulent au contraire, en forçant les populations chinoises à se mêler au mouvement qui emporte le monde, jeter parmi elles les germes régénérateurs et fécondans de la foi, de la civilisation chrétienne, et les faire ainsi participer à l’avenir meilleur vers lequel marchent les sociétés modernes. C’est là l’expression la plus haute, en même temps la plus réelle et la plus pratique, de la pensée qui les guide, du but qu’elles poursuivent. Toutefois, pour que leur œuvre s’accomplisse, il faut que le temps, en effaçant le souvenir de leurs victoires, ne puisse affaiblir l’influence que ces victoires leur auront donnée. Il faut que cette influence soit de tous les instans, que rien ne puisse en arrêter les développemens légitimes, les conséquences logiques, et que jamais, dans une heure de fol orgueil ou de faux patriotisme, les conseillers impériaux ne puissent songer à s’affranchir des liens et des devoirs qui leur auraient été imposés. Il faut en un mot, en dehors de l’empire, mais sur ses frontières, un centre d’où rayonnera l’influence européenne protectrice des traités, et appuyée sur la force matérielle, la seule que reconnaissent en définitive ces peuples à demi civilisés. D’un autre côté, l’heure est venue d’opposer une barrière sérieuse au développement de la puissance russe, déjà prépondérante dans ces régions. Nul pays mieux que la