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Du jour où la lutte, motivée d’abord par l’insignifiante question de l’Arrow[1], est devenue inévitable, des voix se sont élevées du sein même de la colonie anglaise de Hong-kong pour assigner à la nouvelle guerre de Chine des motifs d’un ordre plus élevé. Ce ne sont plus seulement les droits concédés par le traité de Nankin qu’il s’agissait de garantir, il fallait, dans l’intérêt du commerce anglais en Chine, inspirer une terreur salutaire à la cour impériale, et combattre par des coups décisifs l’influence constamment hostile aux Européens dont l’attitude de la population cantonaise est le trop sûr indice. Sans rejeter complètement cette opinion, il est permis de croire que ces préoccupations, si graves qu’elles soient d’ailleurs, n’expliquent pas seules la conduite de l’Angleterre dans son différend actuel avec la Chine. Quiconque voudra suivre les relations de cette puissance avec l’empire du milieu, avant et depuis 1840, reconnaîtra que la modération, la patience, la réserve, ont été un des caractères distinctifs de la politique anglaise dans cette partie de l’Orient. Pour qu’aujourd’hui cette politique entre dans une voie nouvelle, il faut qu’elle ne soit plus dominée exclusivement par des considérations commerciales ; mais quelles sont les idées qui doivent prévaloir ? Nous espérons les exposer en recherchant combien d’intérêts divers s’agitent aujourd’hui en Chine, en jetant un rapide coup d’œil sur les faits qui ont amené la guerre de 1840 et sur ceux qui l’ont suivie.


I

Tant que le monopole commercial de la Chine fut entre les mains de la compagnie des Indes, les Anglais, malgré les ambassades des lords Macartney et Amherst, peut-être même à cause de ces ambassades, ne furent jamais regardés que comme des barbares du dehors, admis par la bienveillance seule de l’empereur à commercer avec l’empire du milieu. La compagnie ne fut autorisée à entrer en relations qu’avec les hongs, et ces relations furent purement commerciales. Dans leurs communications, peu fréquentes d’ailleurs, avec les autorités chinoises, les directeurs de la factorerie anglaise acceptaient comme légitime la supériorité que les fonctionnaires impériaux s’attribuaient vis-à-vis des Européens établis à Canton.

  1. On n’a pas oublié que la saisie de l’Arrow, petit bâtiment monté par des Chinois avec capitaine et pavillon anglais, et l’obstination du vice-roi de Canton Yeh refusant de donner satisfaction pour cet outrage, sont une des causes accidentelles de la guerre qui va commencer. On trouvera, sur cet épisode comme sur l’état présent de la société chinoise vis-à-vis des Européens, de précieux détails dans une étude qu’il est superflu sans doute de rappeler ici, la Question chinoise (voyez la Revue des Deux Mondes du 1er juin 1857).