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nous qu’une double pirogue, qui continua de s’attacher à nos pas jusqu’au moment où nous eûmes gagné la haute mer. Sur cette pirogue était la pauvre Véa. Sa persévérance fut récompensée : on lui permit d’accoster un instant la corvette. Elle put ainsi me remettre de nouveaux présens, dernier souvenir de sa pure et naïve tendresse. Puis elle aussi dut se diriger vers son île. Le vent nous emporta dans des directions opposées. Longtemps d’un œil humide je suivis son canot, qui bondissait légèrement sur la vague. Debout sur le tillac, s’appuyant d’une main au mât qui supportait la haute voile de natte, Véa tenait aussi ses yeux attachés sur la corvette. Nous échangeâmes ainsi et du cœur et du geste un suprême adieu. Enfin la distance ne me laissa plus distinguer qu’une forme indécise ; je m’assis sur le bastingage et, — oserai-je l’avouer aujourd’hui ? — je cachai ma tête dans mes mains pour pleurer.


III

Les quinze jours que nous venions de passer dans le port de Tonga-Tabou furent les derniers beaux jours de notre campagne. Jusqu’alors nous avions subi de grandes privations, nous avions traversé mille dangers : le temps des véritables épreuves approchait. Je ne m’appesantirai plus sur tous les périls que présenta notre navigation à travers des parages complètement inconnus : je craindrais la monotonie de pareils récits, qui ne peuvent offrir un véritable intérêt qu’aux hommes vieillis dans le métier ou à ceux qui se préparent à en affronter avec joie toutes les fortunes. Ces périls nous rappelèrent souvent ceux que nous avions déjà courus sur les côtes de la Nouvelle-Hollande ou de la Nouvelle-Calédonie. Si la Durance en sortit sans échouage, il en faut rapporter tout l’honneur à l’admirable coup d’œil et à la froide énergie de M. de Mauvoisis. Cet officier est certainement le meilleur manœuvrier que j’aie rencontré dans le cours de ma carrière. Que ne joignait-il à une aussi éminente qualité un caractère moins indomptable et le désir de captiver ceux qui servaient sous ses ordres !

Le plan de nos opérations futures était arrêté déjà lorsque nous avions quitté la terre de Van-Diémen. Nous devions suivre la côte septentrionale de l’archipel de la Louisiade et passer entre la Nouvelle-Guinée et la Nouvelle-Bretagne pour gagner, par le détroit de Dampier, la mer des Moluques. Le détroit de Bouton et celui de Salayer nous conduiraient ensuite par un chemin facile dans la mer de Java. La position géographique de quelques-uns des points de l’Océanie avait été soigneusement déterminée par les observations de nos devanciers. C’étaient autant de jalons posés sur notre route pour nous aider à relier nos travaux à ceux de Cook, de Bougainville