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premier besoin. Par malheur, le plan suivi par l’amiral embrassait trop d’objets et un champ sans contredit trop vaste pour des bâtimens tels que les nôtres. On eût peut-être évité le fâcheux dénoûment de ce pénible voyage en se renfermant dans un cercle de travaux hydrographiques sagement limité.

Tandis que notre seconde campagne s’ouvrait sous de si tristes auspices, je jouissais, je dois le dire, du privilège de la jeunesse, qui semble n’avoir été douée de la mobilité des impressions que pour s’accoutumer plus aisément aux épreuves douloureuses de la vie. Je voyais avec une profonde affliction décliner la santé de l’homme qu’après mon père j’aimais le plus au monde ; mais trop d’objets nouveaux sollicitaient ma curiosité pour que je ne fusse pas impatient d’obtenir l’autorisation de descendre à terre. J’attendis cette autorisation pendant trois longs jours. En fait de service, je subissais toujours les charges imposées au plus jeune, et souvent, grâce à la facilité de mon caractère, je les subissais plus que de raison. Avec quel ravissement j’échappai enfin à ma prison flottante, et combien la nature me parut belle lorsqu’aux premières lueurs du jour je débarquai sur l’îlot de Panghaï-Modou ! Cet îlot n’a pas un mille de tour, mais il se lie par un récif à trois ou quatre écueils à peu près de la même étendue, complètement séparés l’un de l’autre dès que le flot monte, et presque accessibles à pied sec quand la marée est basse. L’arbre à pain y étend jusque sur le bord de la mer l’ombre de ses grandes feuilles digitées. Le bananier y épanouit sa tige féconde au milieu des champs d’ignames et de patates. Le bouraou, cet hibiscus dont l’écorce fournit des cordes et des étoffes et dont les grandes fleurs, jaunes ou rouges, ressemblent aux fleurs de la mauve, — le mûrier à papier, d’où viennent les plus belles étoffes connues dans, le pays sous le nom de tapas, — le pandanus, dont la feuille tressée fournit des nattes et des toitures, entourent les enclos cultivés, ou forment entre les sentiers d’épais massifs de verdure. Il y a dans toute cette nature je ne sais quel charme énervant dont il est malaisé de se défendre. Les tièdes parfums de la brise, la grâce indolente des arbres, les muettes caresses des oiseaux qui se jouent au milieu du feuillage, tout respire une voluptueuse paresse et tend à plonger l’âme dans une délicieuse langueur. On s’explique aisément, lorsqu’on a passé une journée sous ces beaux ombrages, la mollesse sensuelle des insulaires de l’Océanie et la distinction naturelle de cette race étrangère aux durs travaux qui sont le lot inévitable des habitans de nos campagnes.

Le jour même où pour la première fois je mettais le pied à terre, le sort, toujours propice à la jeunesse, me ménagea une rencontre dont le souvenir, après tant d’années, n’est pas encore effacé de