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plus qu’à demi les vœux inquiets des eguis et des mataboles.


II

Notre relâche à Tonga-Tabou nous offrait une précieuse occasion de renouveler nos vivres ; mais pour obtenir des provisions fraîches par voie d’échange, comme pour dépecer et saler les viandes, un établissement à terre était indispensable. Dès le lendemain de notre arrivée, le capitaine de pavillon de l’amiral débarqua sur l’îlot de Panghaï-Modou, et s’occupa d’y tracer l’enceinte d’un camp, au centre duquel il fit élever quatre tentes : une pour les astronomes, l’autre pour la garnison, la troisième pour renfermer les objets que nous comptions employer à nos trafics, la quatrième pour y loger les fruits et les animaux que nous recevrions en échange.

Bientôt on vit de toutes les parties de l’île les pirogues accourir vers l’îlot de Panghaï-Modou. Les cochons, les poules, le poisson frais, les cocos, les bananes, les fruits de l’arbre à pain, les ignames, affluèrent au marché. Une corde soutenue par des pieux fichés en terre marquait les limites que nul insulaire ne devait franchir. Les transactions commencèrent avec toutes les apparences d’une mutuelle bonne foi ; malheureusement l’instinct invincible du Polynésien ne tarda pas à se réveiller, et dès les premiers jours nous eûmes à constater de nombreux abus de confiance. Jusque-là il n’y avait point trop sujet de nous plaindre ; mais le nombre des sauvages ne tarda pas à grossir dans des proportions inquiétantes, et il y en eut bientôt plus de deux mille rassemblés de jour et de nuit autour de notre camp. Les appréhensions, bien légitimes pourtant, que causa cette multitude turbulente à M. de Mauvoisis, amenèrent entre lui et le commandant de la Durance une discussion fort vive, et dont les suites devaient être des plus tristes. La maladie qui consumait M. de Terrasson depuis notre départ de Van-Diémen lui faisait vivement désirer de descendre à terre et de s’y établir. Chargé de prendre les mesures nécessaires pour satisfaire à ce vœu d’un mourant, M. de Mauvoisis craignit pour la sûreté ou du moins pour la tranquillité du malade les scènes tumultueuses dont l’îlot de Panghaï-Modou était le théâtre. Il vint donc à notre bord avec le projet de faire part à notre commandant des doutes qu’il avait conçus et de ceux que, d’après ses rapports, éprouvait aussi l’amiral. La faiblesse de M. de Terrasson était alors si grande, qu’il ne pouvait se promener sur le pont sans s’appuyer, non sur le bras, mais sur l’épaule de quelqu’un, car sa taille élevée ne lui permettait de donner le bras qu’à très peu de personnes. J’étais un des officiers qu’il