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de me retirer ; mais quelques mots que j’avais involontairement saisis m’avaient déjà révélé le secret d’un dissentiment que la délicatesse des deux amis avait jusque-là soigneusement dissimulé. Le commandant de la Durance disait à M. de Bretigny : « On vous trompe, monsieur l’amiral… Vous pouvez en écrire au ministre… Je me justifierai… » Comment la désunion s’était-elle glissée entre deux hommes qui avaient toujours eu l’un pour l’autre la plus sincère et la plus sérieuse affection ? Des bruits qui circulaient à bord de la Durance me revinrent alors à l’esprit. Je me rappelai les fréquentes allusions que j’avais entendu diriger contre la prétendue ambition du capitaine de pavillon de l’amiral, M. de Mauvoisis, et je me figurai que cette ambition pouvait bien ne pas être entièrement étrangère à la fâcheuse contestation dont j’avais été le témoin, Ce soupçon n’était pas plus fondé que tous les griefs imaginaires qui agitaient si malheureusement nos états-majors ; mais l’esprit de coterie s’introduit aussi facilement à bord d’un navire de guerre que dans l’enceinte d’un cloître, et un parti nombreux, irrité des allures hautaines et du rigorisme militaire qu’affichait M. de Mauvoisis, voyait en lui l’être fatal destiné à troubler la paix de notre expédition. M. de Terrasson, fort souffrant déjà depuis quelques mois, fut pris, en rentrant à bord, d’une fièvre ardente qui le contraignit à garder le lit. J’aurais pu dévoiler au médecin d’où venait cette indisposition subite, dont sa science cherchait vainement la cause. Malgré ma douleur, je respectai un secret que notre excellent commandant s’obstinait à ne point découvrir.

Le 27 février 1793, nous appareillâmes de la baie de l’Aventure. Je devais prendre à cette seconde campagne une part plus active et plus importante qu’à la première, car depuis deux mois j’étais officier. Usant des pouvoirs discrétionnaires qui lui avaient été confiés avant son départ, M. de Bretigny, pendant notre relâche à la terre de Van-Diémen, m’avait remis le brevet d’enseigne de vaisseau et maintenu en cette qualité à bord de la Durance. L’avenir me semblait bien brillant, et si quelques inquiétudes sur les suites de notre expédition commençaient à se manifester à bord de nos corvettes, j’étais loin, à coup sûr, de les partager.

De gros vents de sud-ouest nous firent franchir en onze jours les quatre cents lieues qui séparent la terre de Van-Diémen de la partie septentrionale de la Nouvelle-Zélande. Cook avait déjà démontré, en passant par le détroit qui porte aujourd’hui son nom, que la Nouvelle-Zélande, découverte de Tasman, se compose de deux grandes îles, Ika-na-Maoui et Tavaï-Pounamou. Nous passâmes entre la pointe nord d’Ika-na-Maoui et un groupe d’îlots arides et escarpés distans de cette pointe de trente milles environ. Dès que