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4 avril.

Tu le prévoyais, cela devait finir ainsi. C’est ainsi que finissent tous nos amours. L’âme a seulement une certaine pudeur qui lui défend d’accepter le change sans quelques façons. Le temps remédie bien vite à tout cela. Dans quinze jours, j’adorerai celle qui doit être ma femme, et l’idole d’hier sera oubliée. Telle est la substance de la lettre que tu m’as écrite, et que je viens de relire.

Plût à Dieu que cela fût vrai ! plût à Dieu que mon âme fût ainsi faite ! Je te jure par tout ce qu’il y a de plus sacré que j’en serais ravi, et que, loin d’affecter une fausse tristesse, loin de ménager une transition d’hier à demain, je t’écrirais : « C’en est fait ! je n’aime plus Louise. Cette amourette n’est déjà plus qu’un bouquet de la veille qu’on a oublié de mettre dans l’eau. Je le garderai un jour sur mon cœur, tout fané qu’il est, pour qu’on ne m’accuse pas d’une trop facile inconstance, et demain ces fleurs flétries iront mourir dans le ruisseau qui coule devant ma porte. »

Non, je te le répète, ce qui serait vrai d’un autre ne saurait l’être de moi. Je n’ai pas été pétri de cette argile. Louise m’est plus chère que jamais, et ne peut cesser de m’être chère. Son souvenir me suivra désormais comme l’ombre suit le corps. C’est en rompant avec elle que je sens la chaîne qui m’unit à Louise pour toujours ; c’est en la quittant que je comprends que je ne puis m’en séparer ; c’est en me jurant de ne plus la voir que je devine qu’elle sera toujours présente dans mon cœur. J’ai obéi, en me décidant à cette rupture, à un sentiment respectable en soi, à un sentiment vulgaire, à ce besoin qu’on éprouve à une certaine heure de trancher ces liens que le monde condamne, et qui paraissent n’avoir d’autre raison d’être que le plaisir. C’est force selon les uns, faiblesse selon les autres. Ceux-ci me diront : Il est lâche de renoncer librement à ce qu’on aime ; ceux-là : Il est beau de triompher de soi et de se sacrifier au devoir. Que m’importe ? Le blâme m’est aussi indifférent que l’éloge. Je ne sais jusqu’à quel point les idées qu’on m’a inculquées dès l’enfance ont contribué à la détermination que j’ai prise. Ce que je sais fort bien, c’est que je me suis senti tout à coup dans un milieu où je respirais un air malsain à l’âme, et que j’ai voulu monter plus haut, au risque de me blesser. Je me suis élevé, mais la blessure saigne.

Tu as tort aussi de croire que la difficulté de rompre, les raisons à donner, les reproches à essuyer, les larmes à faire couler sont les secrets motifs qui m’inspirent cette appréhension et cette tristesse. Tu te trompes : je n’ai éprouvé aucun embarras à rompre avec Louise, car tout est rompu, et les choses se sont même passées assez tran-