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vons. Je ne puis te dire de quelle humeur je suis ! Et ma pauvre Louise qui est adorable depuis deux jours, et qui m’a demandé bien humblement pardon de tout le mal qu’elle m’a fait ! Écris-moi, conseille-moi, dis-moi de quelle façon je dois m’y prendre pour détromper les D… et ma mère. Il est grand temps.


6 mars.

Tu as raison, j’étais fou d’en vouloir à Mlle D… parce qu’elle m’a témoigné un intérêt plus vif que je n’aurais souhaité. Rien ne prouve en effet qu’elle m’aime. Elle a toujours été très attachée à ma mère ; son embarras en ma présence s’explique tout naturellement : elle est une jeune fille, et je suis un jeune homme. Si elle m’a serré la main, c’est qu’elle est franche et qu’elle a obéi à un sentiment de sympathie qui peut très bien exister sans amour. C’est après tout une personne modeste, naïve, bien élevée, une compagne telle que mes parens m’en voulaient une. Elle a puisé dans sa famille tous les principes de délicatesse et d’honneur que j’ai puisés dans la mienne. Sa mère est bonne et pieuse comme ma mère, son père est honnête et grave comme était mon père. Qu’elle ait rêvé que je l’épouserais un jour, il n’y a là rien d’impossible. Nous nous convenons, comme on dit. Ce qui le prouve, c’est que tout le monde y a pensé avant nous. Par malheur pour elle, et pour moi peut-être, je n’y penserai jamais. Par malheur pour elle ?… Décidément je suis un fat.

Je ne puis cependant supporter l’incertitude où je suis. Qu’espère-t-on de moi ? Je voudrais m’expliquer franchement avec ma mère, et je crains d’aborder le premier cette question délicate. Au fond, c’est mon imagination seule qui lui prête des intentions cachées. Il est possible qu’elle se berce toujours de ce mariage, mais rien ne trahit sa pensée. Je l’ai même mise inutilement sur la voie, elle s’obstine à ne point faire un pas et à m’observer. Oh ! les femmes ! oh ! ma tendre et adroite mère ! Il serait néanmoins cruel de lui dire : « Tu te flattes que j’épouserai, mais je n’épouserai pas. » Laissons-lui donc quelque temps encore cet espoir que je ne lui ai pas donné, et que je serai bien forcé de lui enlever un jour ou l’autre.

Je suis sorti cette après-midi avec elle. J’étais heureux de la sentir s’appuyer sur mon bras après avoir craint un instant de la perdre aussi. Notre amour pour nos parens s’accroît et s’attendrit pour ainsi dire lorsqu’ils marchent vers leur déclin : il semble que nous rendions à leur vieillesse un peu de cet amour protecteur et passionné qu’ils ont prodigué à notre enfance.

Notre première visite revenait de droit à la famille D… Nous