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lâches ruses, aux plus perfides insinuations pour ébranler le cœur de l’innocente fille. Elle leur défendit de prononcer mon nom : ils n’en devinrent que plus acharnés contre moi. Indignée de ces persécutions et à bout de patience, elle a enfin déclaré à sa mère qu’elle la quitterait, si Édouard S… remettait jamais le pied dans la maison, Mme Morin a tremblé, et, avec toute sorte de soupirs, de larmes, de grimaces, a prétendu qu’elle n’avait jamais eu d’autre but que d’épargner à sa chère enfant les chagrins que je lui préparais. Là-dessus elle lui a conté que mon mariage était résolu. Telle est l’origine des premiers doutes de Louise. Elle a perdu la tête, elle a cru tout ce qu’elle redoutait et s’est laissé diriger par sa mère. J’ai surpris l’autre jour Mme Morin causant au coin d’une rue avec Édouard, qui s’est enfui à mon approche. On m’avait déjà donné avis de leurs sourdes manœuvres. Fort de ce nouvel indice, j’ai éclaté, j’ai reproché à Louise sa longue dissimulation, et c’est alors qu’elle m’a tout raconté, me jurant qu’elle ne me cacherait plus rien. J’ai exigé qu’elle allât s’établir seule dans une petite chambre que j’ai louée, et elle y a consenti sans trop de résistance.

Voilà où nous en sommes, mon cher Léon. Tout cela a réclamé plus de temps que je n’en mets à te l’écrire. Il y a eu bien des tiraillemens, bien des déchiremens. Les moindres faits se compliquent dans la vie de mille détails d’exécution dont le récit serait fastidieux, mais qui servent toujours cependant à éclairer l’ensemble. Cette pauvre fille aime sa mère : elle a jugé comme moi la séparation nécessaire ; mais elle ne s’en est séparée qu’en pleurant. Moi-même, au dernier moment, j’ai senti comme un secret remords. Il me semblait que je faisais aussi une mauvaise action. En prenant de pareils droits sur Louise, je me suis imposé des devoirs que je ne remplirai peut-être jamais… Non, Louise ne peut plus être ma femme !

Quoi qu’il en soit, elle est installée d’hier dans sa chambrette. Elle dit qu’elle est heureuse, mais elle est triste. Et moi !…


2 janvier 185…

Toutes les peines de l’amour s’évanouissent devant une de ses joies. L’amour nous ravit aux tristesses d’hier, nous dérobe celles de demain ; le présent lui suffit. Une soirée comme celle que je viens de passer auprès de Louise rachèterait une année entière d’ennuis, de souffrance et de désespoir.


18 janvier.

Cette séparation ne pouvait durer longtemps. Deux jours ne s’étaient point écoulés que la mère et la fille étaient déjà réconciliées. On me l’a caché d’abord, puis un soir on m’a tout avoué, et l’on