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5 août.

J’ai obtenu un nouveau témoignage de sa tendresse et un des plus charmans qu’elle m’eût encore donnés. C’était dimanche la ducasse d’O… Nous devions y aller, et je m’en réjouissais médiocrement. Elle me dit samedi soir en me quittant qu’elle y renonçait, qu’elle avait un autre projet, et qu’elle me priait de me trouver le lendemain vers onze heures du matin sur la route de C… avec une voiture. Je crus qu’il s’agissait de la fête d’un autre village. Je ne lui avais trop rien demandé, je sais qu’elle aime qu’on lui obéisse aveuglément. Le dimanche, le soleil se leva dans toute sa pompe, et je dus courir longtemps par la ville avant de pouvoir me procurer le véhicule exigé. Toutes les voitures étaient retenues pour la fête d’O… Néanmoins à onze heures j’étais sur la route de C… à l’endroit convenu. Je ne tardai pas à la voir paraître. Sa mise me surprit. Elle avait une robe toute simple, son chapeau le moins coquet, un petit châle de laine. Elle était adorable. « Où allons-nous ? » cria le cocher. « Demandez à madame, » lui répondis-je. Elle lui ordonna de nous conduire dans la Vallée-Heureuse. « La bonne pensée, m’écriai-je, et la délicieuse journée que nous allons passer ensemble et seuls ! » Elle ouvrit alors un petit panier qu’elle tenait caché sous son châle, et dans lequel il y avait des provisions de bouche, le dîner de deux oiseaux ou de deux amoureux. « Nous trouverons bien des œufs et du lait, » dit-elle pour répondre à mes railleries sur nos modestes provisions. Au bout d’une heure, nous étions arrivés. Nous descendîmes de voiture, nous donnâmes rendez-vous au cocher pour le soir, et de notre pied léger nous nous élançâmes dans la vallée.

Tu ne connais pas la Vallée-Heureuse ? Profane ! Mais la faute en est à moi, et, puisque tu viens chaque année passer quelques jours dans notre cher pays, je suis un grand malheureux de ne t’y avoir jamais mené. J’en avais parlé plusieurs fois à Louise, qui ne la connaissait pas non plus. Tu vois par quel coup de baguette elle nous y a tout à coup transportés.

La Vallée-Heureuse est une vraie merveille. C’est le fond d’une vaste carrière de marbre où Dieu a fait pousser des arbres, des blés, des eaux et des fleurs. On y descend par un sentier à pic ; on longe des murs gigantesques, et l’on se trouve tout à coup au bord d’un ruisseau qu’on traverse sur les débris détachés de la carrière. Tu ne peux t’imaginer quel ravissant tableau se présente alors au regard. De jolis arbres blancs sortent trois par trois d’un sol pierreux. Puis aux pierres succède un fin gazon, et vous voyez se dérouler devant vous une harmonieuse rangée de peupliers d’Italie. Les arbres ne