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que lui témoignaient les domestiques de l’hôtel ; il ne leur est pas venu un moment à la pensée qu’elle ne fût pas ma femme légitime. Et dans nos courses au Bois, comme chacun la regardait ! comme on se demandait qui elle était ! comme on était surpris de voir une telle femme et de ne pas la connaître !

Nous ne parlons plus que de Paris. Elle a fait des observations qui me confondent, et je ne croyais pas qu’elle eût à ce point le sentiment du beau. Il va sans dire qu’on ne t’oublie pas. Louise a pour toi une véritable affection de sœur mêlée à je ne sais quel instinct de respect. Elle me rappelle tes moindres attentions pour elle, nos causeries dans ton joli salon, nos dîners au Café-Anglais, nos visites aux différens théâtres. Nous renouvelons ainsi par le souvenir toutes les jouissances que nous avons éprouvées, et cette matière inépuisable défraiera pendant bien longtemps tous nos bavardages d’amoureux.

Les feuilles ont fait des progrès en notre absence. Le printemps, qui est d’ordinaire en retard chez nous, parce que nos vents de mer le forcent à se cacher, le printemps a déjà revêtu ce beau manteau d’un vert tendre qu’il garde si peu et qui lui sied si bien. Nous avons de légers brouillards que le soleil dissipe à midi, et alors le ciel est d’un bleu splendide, l’air est tiède et embaumé. Je vais tous les matins faire une visite au pavillon, où je ne trouve pas Louise, mais où je rencontre Charles B…, le jeune homme qui m’a cédé le jardin, et qui à ma prière passe toujours pour en être le véritable possesseur. Il s’est entendu avec un jardinier qui taille les arbres, coupe le gazon, ratisse les allées et renouvelle les fleurs. Quel dommage de ne m’y pouvoir promener avec ma Louise en plein soleil ! Mais je cueille un bouquet que je lui offre le soir et que nous admirons ensemble. Pendant que je me livre à cette occupation pastorale, Charles B… se promène en soupirant. Il me parle de sa belle dame qui ne lui cause que des tourmens, et je lui parle de Louise qui ne me cause que des joies.


20 mai.

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Mon père se doute de quelque chose. Il m’a lancé l’autre jour en plaisantant deux ou trois allusions indirectes qui m’ont fait rougir jusqu’au bout des oreilles. Ma mère paraît un peu contrainte avec moi, elle n’ose plus me dire un mot de Mlle D…, qui continue néanmoins de venir assez souvent chez nous. Cela me gêne, je l’évite le plus que je puis, mais je ne peux pas l’éviter toujours. Il y a dans ses fréquentes visites un manque de délicatesse qui me choque au suprême degré. Il est clair qu’elle n’a point renoncé à ses prétentions sur moi et que ma mère les encourage, tout en n’osant plus