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notre secours. « Vous êtes des enfans, nous dit-elle, j’ai de quoi parer à tout. » Nous la regardâmes de cet œil brillant qu’on tourne vers un sauveur dans les cas désespérés. Elle nous développa son plan, elle fut admirable d’astuce et de profondeur. Je partirais le lendemain, comme j’en étais convenu avec mon père, par le convoi de midi. Louise aurait pris les devans, grâce au premier convoi, qui part à six heures du matin, et m’attendrait à R…, à la gare. Quant à l’absence de sa fille, elle se chargeait de l’expliquer. D’abord elle se rendrait de bonne heure dans la maison où Louise devait aller. Elle dirait que sa chère petite était trop enrhumée pour sortir, qu’il ne fallait pas compter sur elle avant une quinzaine de jours, que le médecin lui avait commandé l’air de la campagne, et qu’elle irait probablement passer huit jours à R…, chez une de ses cousines. « Mais c’est parfait ! » m’écriai-je. Louise, ébranlée, fit bien encore quelques objections ; Mme Morin les réfuta victorieusement, alléguant pour raison suprême qu’il était nécessaire qu’une jeune personne vît Paris, qu’elle l’avait vu dans sa belle jeunesse, qu’elle y avait même passé un mois, et qu’elle voulait que l’enfant fît comme sa mère. Louise, qui au fond le désirait encore plus qu’elle, se rendit enfin. Ma joie ne connut plus de bornes, j’étais comme fou. Tu peux en juger : j’ai embrassé la mère Morin.

Aussitôt sa résolution prise, Louise m’a renvoyé, n’ayant pas, a-t-elle dit, une minute à perdre pour tout disposer. C’est à cette circonstance que tu dois ces longs détails ; sans cela, tu n’aurais appris par écrit que le dénoûment de l’aventure, et nous t’en aurions conté de vive voix les diverses péripéties. Cette lettre t’arrivera peut-être une heure avant nous. Il est deux heures du matin, mais je ne saurais dormir, et c’est seulement par raison que je vais me mettre au lit.

A bientôt. Les huit belles journées que nous allons passer ensemble ! A propos, elle m’a dit qu’elle serait heureuse de te revoir. Heureuse ! C’est le mot dont elle s’est servi.

Nous descendrons à l’hôtel qui est en face de chez toi. Retiens-nous une chambre et un salon. Je veux qu’elle passe pour ma femme. Ah ! s’il m’était permis un jour de lui donner ce nom !

Fais bien attention qu’il n’y a poésie qui tienne, tu nous appartiens pour huit jours, tu es à nous.


22 avril.

Notre retour à B… s’est effectué aussi heureusement que notre départ. Il semble qu’un être mystérieux, l’amour, dirait un classique, un ange, dirait un romantique, a veillé sur nous pendant ces dix jours et nous a couverts de ses ailes. Un seul instant du voyage