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sang des captifs autant pour assouvir leur haine que pour plaire au prophète, qu’ils croyaient honorer par ces sacrifices humains. Sa hautesse Sedaciva Rhow disparut dans la défaite, comme le roi Sébastien à la bataille d’Alcazar, sans que son corps eût été retrouvé. À peine quelques centaines de combattans et une petite troupe de brahmanes purent-ils regagner leurs montagnes isolément à travers mille périls. C’en était fait de la puissance des Mahrattes ; le brahmanisme était vaincu, anéanti, et l’islamisme trônait de nouveau à Delhi, pour tomber à son tour devant l’occupation anglaise. Des princes de la confédération mahratte, Sindia et Holcar, secondés par des officiers français[1], reparurent un instant sur la scène, et avec éclat ; mais cette fois l’islamisme n’était plus aux prises avec le brahmanisme : c’étaient la France et l’Angleterre qui se disputaient l’empire des Indes.

Les Hindous prétendent que l’âge de fer a commencé pour eux, et depuis bien des siècles. Ils ont raison. L’âge d’or des Aryens fut celui où, partis des régions voisines de la Mer-Caspienne, ils arrivèrent dans le nord de l’Inde. Unis entre eux comme une même famille, ils marchaient avec un confiant enthousiasme à la conquête de l’un des plus beaux pays du monde. L’âge d’argent commença avec l’établissement des premières villes, lorsque les législateurs durent élever la voix et promulguer, au milieu d’une société déjà mêlée à l’élément indigène, des lois sévères. Les guerres de famille et les rivalités de dynastie occupèrent l’âge d’airain ; ce fut le temps des vertus héroïques et des passions dangereuses pour le repos des peuples et pour la stabilité des états. Le dernier âge devait verser sur les populations indiennes une foule de calamités : le mélange des castes, la prédication d’une doctrine hétérodoxe, l’affaiblissement du brahmanisme et du sentiment national. Tous ces maux que déplorent les brahmanes ne nous semblent pas également graves ; mais, en y regardant de près, on ne peut s’empêcher de reconnaître qu’ils altéraient le génie du peuple aryen. Ce peuple, appelé à de hautes destinées, fut le plus élevé par le sentiment poétique, par l’instinct philosophique et religieux, entre tous ceux qui ont débordé sur l’Inde à des époques lointaines : la preuve, c’est que plus on remonte dans l’antiquité, et plus on rencontre de dignité et de grandeur dans ses monumens littéraires ; mais la race indigène, admise au sein de la race choisie, fit perdre peu à peu à celle-ci sa supériorité.

Ce fut pour la captiver et pour s’imposer à elle comme une lignée de demi-dieux que les poètes aryens revêtirent de formes légendaires et enveloppèrent de voiles mystérieux ce qu’ils savaient des

  1. De Boigne, Perron et Drugeon.