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réfléchir sur la vanité des choses humaines. L’islamisme répandait à travers l’Inde une race d’hommes supérieurs en force physique aux indigènes, ardens dans leur foi, et qui se croyaient appelés à dominer partout. Sous le poids de cette conquête oppressive, le peuple vaincu se réfugia dans la méfiance et la dissimulation. Les dynasties musulmanes qui se succédaient à Delhi développaient autour d’elles et dans les vice-royautés dépendantes de leur empire l’éclat d’une civilisation qui valait bien celle de l’Inde ancienne, mais qui ne lui était pas assez : supérieure pour qu’on pût l’appeler un bienfait. Il y eut toujours, une partie de la nation qui opprima l’autre et qui la méprisa ; les opprimés à leur tour nourrissaient des sentimens de haine contre les vainqueurs. Si les musulmans ne voyaient dans les Hindous que des païens grossiers, les païens ne voyaient dans les sectateurs du Coran rien de plus que des étrangers sans histoire, sans passé, avides de pillage et de domination.

Cet esprit d’antagonisme s’est perpétué sans interruption depuis l’époque où Dehli tomba pour la première fois, au pouvoir des Musulmans. D’abord ce furent les vaillantes tribus du Radjastan qui luttèrent avec un véritable héroïsme contre les Patans. Ralliés autour de leurs chefs de clans, ces fils de rois, — Radja Pouttras, comme ils se nomment, — tous nobles comme les hidalgos de la Vieille-Castille, défendaient pied à pied les passages de leurs montagnes. Il se livra dans ces contrées des combats pareils à ceux du Cid, et dont les bardes du pays ont consacré le souvenir. Au XVIIIe siècle, ce furent les Mahrattes, peuple de montagnards eux aussi, belliqueux et infatigables, qui, poussés à bout par les violences d’Aurang-Zeb, se raidirent par la résistance et devinrent bientôt agresseurs. Trente ans après la mort du puissant empereur mogol, ils s’avancèrent jusqu’en vue de Dehli, dont ils incendièrent les faubourgs. En 1761, ils reparaissaient à une petite distance de cette même capitale avec une armée considérable : elle consistait en cinquante-cinq mille chevaux et quinze mille fantassins de troupes régulières, deux cents canons d’assez gros calibre et un grand nombre de pierriers portés sur des chameaux. Vingt mille irréguliers, — nommés pindaries, pillards, — grossissaient le chiffre des combattans, auxquels il faut ajouter près de deux cent mille hommes chargés du soin des bagages et du service personnel des chefs de tous rangs. Devant les Mahrattes, campés dans la plaine de Panniput, se déployèrent bientôt les musulmans, commandés par Ahmed-Chah-Abdalli de Caboul. Les Mogols et les Afghans réunis comptaient près de quarante mille fantassins, un nombre plus considérable encore de cavaliers, puis des chameaux portant des bouches à feu, et environ quatre-vingts canons de campagne. On remarquait parmi ces troupes, aux costumes brillans, flanquées d’une foule de cent mille serviteurs, les