Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/280

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prochable et la dévotion. Les péchés de la nuit sont donc effacés ; le djina, libre de toute affection terrestre, se dirige vers le temple le plus voisin. Trois fois il en fait le tour, marchant à pas comptés, méditant sur les perfections du grand saint dont il va visiter le sanctuaire. Enfin il entre ; devant l’idole, assise comme celle de Bouddha, les jambes croisées, il se prosterne pour prier. Une fois que cet acte pieux est accompli, le djina choisit un vœu, et s’avançant avec respect vers son précepteur spirituel : « Père, lui dit-il, je fais le vœu de ne pas manger, — ou de ne pas parler, — jusqu’à telle heure ! » Le précepteur spirituel lit alors quelques passages des saintes écritures que le religieux écoute avec recueillement, et le soleil, tombant d’aplomb sur la tête de ce dernier, lui annonce qu’il est midi. Le moment est venu d’aller mendier le repas qu’il ne prendra point avant l’heure fixée par le vœu du jour. Quêter quelques provisions de riz à la porte des maisons du village, c’est faire preuve à une grande humilité ; mais il faut bien peu de chose pour troubler les sens de l’homme, et il se peut aussi que le mendiant ait écrasé des insectes sous ses pieds ! Il y a donc nécessité pour le djina de répéter quelques formules sacrées qui effaceront les fautes commises durant la quête, après quoi il mange son riz et invoque une fois de plus les saints dont il cherche à s’attirer les mérites le reste du jour, il se tient silencieusement à l’écart, comme il convient à un solitaire qui n’a nul souci des choses de ce monde. Méditer sur les devoirs de sa profession, rappeler à son esprit les belles actions et les austères pénitences des maîtres de la doctrine qui ont édifié les sectaires, s’absorber en un mot dans ce monde des djinas au-delà duquel il ne porte jamais sa pensée, telle sera son occupation de la soirée. Peu à peu la fraîcheur se répand dans la forêt, la brise de la nuit souffle doucement à travers le feuillage, et les oiseaux cessent leur gazouillement. Debout près de la natte, le religieux continue de se livrer à sa pieuse rêverie ; puis, de cette rêverie il passe sans effort au sommeil en répétant encore quelques incantations qui achèvent de mettre en repos sa conscience timorée. Enfin il s’allonge sur sa couche d’anachorète, parfaitement tranquille, édifié de sa propre sainteté, croyant fermement qu’il suffit de s’imposer chaque jour un vœu et de ne faire de mal à aucune créature pour arriver à la perfection !


IV.

La secte des djinas, comme celle des bouddhistes, s’est montrée beaucoup plus sévère à l’égard du sensualisme que ne l’était l’ancienne religion brahmanique. L’une et l’autre contiennent des commandemens de morale explicites, qui se gravent sans peine dans la