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n’être plus qu’un marais, le bouddhisme, en sortant de l’Inde, ne tarda pas à s’épuiser. Cette, croyance, athée à son sommet et qui plongeait de plus en plus dans la superstition, ne différait plus essentiellement des doctrines qui avaient régné lorsque l’Inde était partagée entre des systèmes philosophiques, atomistes, matérialistes, et un culte grossièrement païen. Le panthéisme de Çâkya-Mouni ne pouvait être invoqué non plus comme une nouveauté, puisqu’il était le centre auquel venaient aboutir soit à leur insu, soit avec préméditation, les écoles considérées jadis comme orthodoxes.

Les populations hindoues ne s’apercevaient pas sans doute du retour des esprits à l’ancienne religion brahmanique : elles n’avaient pas conscience de cette évolution qui les ramenait à leur point de départ. Inhabiles à discerner la solidité ou la faiblesse d’un raisonnement, elles avaient obéi à l’impulsion donnée. Pendant des siècles, elles avaient donc erré au gré des systèmes nouveaux qui morcelaient la doctrine bouddhique comme on dissèque un cadavre. Le bouddhisme allait s’éteignant, et les brahmanes mettaient à profit l’expérience qu’ils venaient d’acquérir. La croyance rivale n’était plus qu’un édifice miné qui se soutenait à peine ; la vie se retirait d’elle, et les deux-fois-nés achevaient de l’étouffer. Ce fut alors qu’ils recueillirent avec un soin particulier toutes les légendes historiques, cosmiques, religieuses, dont ils gardaient les copies, tracées sur des feuilles de palmier. Çâkya avait vécu parmi les hommes, il y avait prêché sa loi, et cette personnalité du réformateur, incontestée, bien établie par une tradition récente, avait fait en grande partie le succès de ses enseignemens, même après sa mort. Les brahmanes, qui plaidaient pour leurs divinités, groupèrent autour de chacune d’elles les légendes qui s’y rattachaient, afin de leur donner aussi cette existence réelle qui frappe l’imagination des peuples[1]. Ils affectèrent de considérer le bouddhisme, qui les avait vaincus durant plus de dix siècles, comme une aberration passagère, comme une maladie de l’esprit hindou. Dans les livres écrits depuis l’époque de la renaissance brahmanique, ils ont pris le parti de ne jamais mentionner le nom de Çâkya ; c’est à peine s’ils disent un mot de sa doctrine. Ils ont rigoureusement banni de leurs bibliothèques et complètement détruit[2] tous les ouvrages que renfermaient jadis les Trois Corbeilles et ceux qui furent composés plus tard par les sectaires. À force de n’en plus parler, ils ont fait oublier jusqu’au nom

  1. Les Pourânas, poèmes sacrés, au nombre de dix-huit, qui traitent de la création, des dieux, de leur filiation, des héros et de leur généalogie, ont été rédigés sous leur forme actuelle du Xe au XIIe siècle de notre ère. On peut reporter aussi à cette date, comparativement récente, la rédaction définitive des grandes épopées.
  2. On n’a de livres bouddhiques rédigés en langue sanskrite que ceux écrits ou conservés dans le Népal, où le bouddhisme règne encore aujourd’hui.