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l’humanité le pacte d’une nouvelle alliance. Il effaçait les différences de races et de nations : à ses yeux, tous les peuples sont enfans de la même famille et formés du même limon. Il n’y avait là au fond qu’une application plus large de la pensée de Çâkya-Mouni, qui supprimait la distinction des castes au point de vue philosophique. D’ailleurs toute prédication implique une certaine ardeur de prosélytisme, et Çâkya, le premier en Orient et dans les temps anciens, prêcha publiquement sa doctrine.

Fils de roi, élevé dans un palais, au sein des grandeurs, le jeune Çâkya semble avoir contracté de bonne heure le dégoût des choses de ce monde. On se le figure volontiers sous les traits d’un jeune homme mélancolique, porté à la rêverie et à la tristesse, médiocrement tourmenté par les passions, habitué à se rendre compte de ses sensations et de ses idées, très impressionnable par tempérament, et partant très prompt à tomber dans l’abattement, à ressentir de ces peines indéfinissables qui troublent le cœur et inquiètent l’esprit. Il ne pouvait avoir le culte des héros, auxquels il ressemblait si peu. Rien en lui ne rappelait le guerrier aryen, le chevalier errant, le dompteur de monstres, le kchattrya célébré par les poètes de l’Inde. Ses historiens prétendent qu’il refusa de se marier. Préférant les rigueurs d’une vie d’anachorète aux mollesses d’une existence princière, il se retira dans la campagne pour méditer. Après de longues années passées, à la manière des anciens sages, sous un arbre, dans l’attitude d’une méditation recueillie, Çâkya, mûr pour la prédication, commença de faire entendre sa parole aux foules qui l’écoutaient. Non-seulement il avait renoncé au trône, mais il avait embrassé la vie pauvre d’un ermite. En quittant le palais de ses pères, il a coupé ses cheveux, emblèmes d’une jeunesse épanouie, il a distribué ses richesses à ses serviteurs, il s’est dépouillé de tout ce qui pouvait lui donner sur le peuple une autre autorité que celle de ses vertus, un autre prestige que celui de la vérité, qu’il croit avoir trouvée.

S’il y avait eu dans l’Inde des artistes capables de retracer par la couleur ou par le ciseau les prédications de Çâkya, quels curieux ouvrages ils auraient produits, et comme la postérité prendrait plaisir à les étudier ! On y aurait vu le réformateur assis, les jambes croisées, sous son arbre favori ; les gens de la classe moyenne, appuyés sur leurs instrumens de travail, l’écoutent avec une surprise mêlée de joie, tandis que d’un côté les brahmanes, s’arrêtant au seuil de la pagode antique, lui montrent le poing avec colère, et que de l’autre passent, fièrement revêtus d’armures splendides, et portés sur leurs éléphans de parade, les guerriers hautains, regardant avec un sourire de pitié le fils de roi qui s’est fait humble pour parler aux petits. À défaut de ces compositions allégoriques, — et trop sou-