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sur ses pas, il avait débarqué sur un isthme de sable qui unissait les deux massifs distincts de la côte orientale. Traversant cet isthme, un fusil d’une main, une boussole de l’autre, il s’était trouvé au fond de la baie de l’Aventure. Le problème était donc résolu. Le canal à l’entrée duquel se trouvaient mouillées les corvettes avait deux issues ; la terre qui en formait la rive orientale était une île, et c’était sur la face de cette île, tournée vers le soleil levant, que Furneaux avait mouillé en 1773, que Cook avait jeté l’ancre quatre ans plus tard.

Dès que cette importante découverte fut connue, elle excita à bord des deux corvettes un enthousiasme impossible à décrire. On n’éprouvait qu’une crainte, c’est que d’autres navigateurs ne tentassent un jour de nous en disputer la gloire. Nous voulûmes donc prendre en quelque sorte possession de ce beau détroit en le traversant les premiers avec nos bâtimens. Le vent était contraire, et, pressé de poursuivre sa mission, l’amiral hésitait encore ; mais le désir manifesté par les états-majors, par les équipages eux-mêmes, impatiens de voir donner cette dernière sanction à nos droits, fut si vif, qu’il dut céder et continuer à s’avancer, en louvoyant, vers le nord.

Le détroit que nous remontions était si parfaitement abrité des vents du large que nous n’y ressentions que des brises légères. Chaque soir, nous laissions tomber l’ancre ; dans la journée, pendant que les corvettes louvoyaient d’une rive à l’autre, nos embarcations nous suivaient à la remorque. De temps en temps on les envoyait jeter la seine au fond de quelque anse sablonneuse. Au bout d’une heure ou deux, on les voyait revenir chargées de poissons, de homards et de coquillages. Les chasseurs profitaient aussi de ces occasions pour se répandre dans l’intérieur. Ils aperçurent des bandes de cygnes noirs, mais il leur fut impossible de s’en approcher à portée de fusil. Ils tuèrent des perroquets, des perruches de plusieurs espèces, de gros cacatois noirs à huppe couleur de feu, de petits cacatois blancs à huppe jaune. Les naturalistes nous avaient inoculé le goût des collections. Chacun à bord des corvettes avait la sienne. La recherche des coquilles était surtout le goût dominant. Les savans s’inquiétèrent de cette rivalité qui pouvait leur ravir des espèces inconnues. Ils adressèrent leurs réclamations à l’amiral, qui nous donna l’ordre de leur soumettre le résultat de toutes nos pêches. Cet ordre, on le devine, n’eut d’autre effet que de porter chacun de nous à cacher plus mystérieusement que jamais ses trésors.

Ainsi que l’amiral l’avait prévu, il ne nous fallut pas moins de quatre jours pour traverser le détroit. Au moment d’en sortir, nous rencontrâmes sur la côte occidentale quelques naturels avec lesquels