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pour la première partie des temps modernes, les Portugais, les Espagnols, les Hollandais, les Anglais, les Français, les Allemands et les peuples du Nord de l’Europe. L’histoire s’arrête au seuil de la période contemporaine ; il est vivement à désirer que M. Scherer complète son œuvre par la prochaine publication du volume consacré à l’histoire du commerce moderne.

Le plan suivi par M. Scherer est assurément le meilleur et le plus simple ; il facilite singulièrement l’étude d’une histoire à la fois très compliquée et très variée, qui comprend tous les temps et tous les peuplés. Les aperçus généraux lui ont fourni l’occasion de résumer à grands traits la physionomie, nous oserions presque dire la philosophie commerciale des grandes époques, et d’indiquer les constantes harmonies qui ont uni les destinées du commerce à celles de la politique et aux grands mouvemens de la civilisation. Dans les chapitres qui se rapportent à chaque pays, il a pu éviter les digressions et se renfermer strictement dans l’examen des faits commerciaux et maritimes. M. Richelot, qui estime avec raison qu’un traducteur conserve à l’égard du livre qu’il a traduit le droit de critique, reconnaît que M. Scherer n’a point suffisamment développé l’histoire du commerce dans l’antiquité, et qu’il s’est montré trop sévère à l’égard de Rome, considérée au point de vue commercial. Peut-être aussi, ajouterons-nous, l’auteur allemand n’a-t-il point toujours apprécié exactement, dans le chapitre consacré à la France, les actes de notre législation économique. Il y aurait enfin quelques réserves à exprimer au sujet de ses théories sur le régime colonial. M. Scherer, qui incline visiblement vers la doctrine du libre-échange, a parfois jugé les lois du passé d’après les idées modernes de l’école à laquelle il appartient : il aura bien jugé suivant les uns, mal jugé selon les autres, car la discussion sur le libre-échange et la protection est toujours ouverte, et plus ardente aujourd’hui que jamais. M. Richelot, qui parmi ses écrits économiques compte une traduction du Système national, de Frédéric List[1], a tenté par des notes d’interpréter dans un sens libéral et non radical les opinions de M. Scherer en matière de législation, et il voudrait le retenir sur la pente du libre-échange ; mais les Allemands sont tenaces, et M. Scherer trouvera dans la suite de son ouvrage, quand il écrira l’histoire commerciale de l’Angleterre et de la France depuis la paix de Versailles, l’occasion de répondre aux observations bienveillantes de son traducteur. Quoi qu’il en soit, et sans intervenir autrement dans ce débat de famille, on peut dire que les parti sans de la protection comme ceux du libre-échange tireront profit du livre de M. Scherer, car la bonne foi de l’auteur égale son érudition, et l’on n’a pas à craindre que l’historien ait dénaturé les faits pour mieux les accommoder à ses opinions personnelles. S’imagine-t-on que, pour une histoire du commerce, on croie devoir accorder une mention honorable à l’impartialité ! Il le faut bien, puisque l’économie politique a élevé ses querelles d’écoles aux proportions d’une guerre de partis.


C. LAVOLLEE.


V. DE MARS.

  1. Cette traduction a été publiée en 1851. Une seconde édition a paru en 1857.