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Et j’ai noyé mon dernier rêve,
Sans trembler, dans mes derniers pleurs.


IV


LA CROIX.


J’aperçois une croix, mais non la grande image !
Il semble que le vent, qui déchaîne sa rage
Et fait tourbillonner les feuilles jusqu’au ciel ;
Ait arraché le Christ de son arbre immortel !

Dois-je prendre l’horreur en ces bois répandue
Et de ses mille traits former une statue ?
O Nature, faut-il concentrer ta douleur
Et la clouer en croix au lieu de mon Sauveur ?

PAUL VRIGNAULT.



RECITS D’UN CHASSEUR, par M. Ivan Tourguenef[1]. — En 1850 parut à Moscou un livre qui produisit en Russie une assez grande sensation. Ce ivre dont une première édition fut rapidement épuisée, dont une seconde, faute d’autorisation, n’a pu encore paraître, n’avait été connu en France jusqu’à’ ce jour que par une trop libre imitation de l’ouvrage russe ; Les Récits, d’un Chasseur de M. Tourguenef nous sont offerts enfin dans leur intégrité par le nouveau traducteur, M. Delaveau, et c’est le moment de reparler d’un ouvrage qui avait déjà été pour un appréciateur compétent, M. Mérimée, l’occasion d’une étude intéressante dans la Revue[2].

L’ouvrage de M. Tourguenef ne se présente pas, on le sait, sous la forme d’un roman compacte animé d’un bout à l’autre par les mêmes personnages ; il se compose, comme le titre l’indique, d’une suite de récits qui se distinguent de la nouvelle par l’absence de l’élément purement spéculatif et romanesque. L’auteur a puisé en pleine réalité. Cependant bien qu’ils se suivent dans une apparente indépendance, la plupart de ces récits tiennent par le fond même les uns aux autres, et forment, après lecture complète, un ensemble harmonieux. Nous sommes introduits d’ailleurs dans un milieu jusqu’à ce jour très peu connu, dont la peinture, tout à la fois fidèle et bien mesurée, ajoute à la curiosité qu’inspirent nécessairement les choses nouvelles la satisfaction plus délicate que réclament les besoins de l’esprit. M. Tourguenef s’est proposé de nous faire connaître ce qu’au XVIIe siècle on eût appelé la province par opposition à la ville. C’est avec dessein que nous rappelons cette expression d’un autre temps, car les récits de l’écrivain russe ne ressemblent point aux études contemporaines qu’on intitula scènes de la vie de province, et dont l’objet se rapporte à la classe moyenne La classe moyenne ou bourgeoisie semble ne point exister hors des grandes villes russes, ou du moins M. Tourguenef la néglige pour ne s’occuper guère que des paysans ou des gentilshommes campagnards.

  1. . Un vol. in-18, Dentu, éditeur.
  2. Voyez la Revue du 1er juillet 1854.