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J’entends frémir ton voile, ô nature charmante !
C’est bien le bruit que fait le voile d’une amante.

Veux-tu donc de nouveau me séduire, ô Circé,
Et me tromper encore après m’avoir bercé ?…

Mais non, c’est la tempête, et l’éclair qui s’allume
Sillonne en traits de feu la mer blanche d’écume.

Ces serpens lumineux déchirant le ciel noir,
Ce sont les souvenirs qui brillent vers le soir.

Ils me disent : « O fou, connais donc ta démence !
Tu peux bien, sans mourir, noyer ton espérance ;

« Mais, si c’est ton amour qu’il faut noyer, alors
Tu n’as qu’un seul moyen, c’est de noyer ton corps ! »


II


BLESSÉ AU COEUR !


Je porte en ma poitrine une large blessure ;
Je l’ai voulu guérir, oublier, mais en vain !
Elle ronge mon cœur, et je laisse à mesure
Des lambeaux de ma vie aux buissons du chemin.

Ma mère comprendrait mon horrible chagrin,
Elle qui m’a porté neuf mois sous sa ceinture,
Et m’a donné son lait et son âme en pâture !…
Connaissez-vous la tombe où fleurit un jasmin ?

O mère, prends pitié du mal qui me dévore !
Si dans l’éternité ton amour veille encore,
Et si l’on te permet encore un souvenir,

Ah ! viens me délivrer de cette affreuse vie
Et terminer enfin cette lente agonie !
Ma fatigue est bien grande, et je voudrais dormir !


III


FINI !


Toute joie est une colombe,
Et le vautour plane au-dessus ;
Tous mes amis sont dans la tombe,
Et tous mes espoirs sont déçus.

La mort s’est fait une pâture
De mes félicités ; je crois
Qu’au grand conseil de la nature
Le cœur humain n’a point de voix.

J’ai dit à l’arbre à bout de sève :
« Jette au vent tes dernières fleurs ! »