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c’était son devoir comme président ; il n’est pas moins vrai qu’au même instant Walker, le célèbre Walker, s’échappait des États-Unis avec sa bande pour aller débarquer de nouveau dans l’Amérique centrale, et ce qu’il y a de plus triste, c’est que ces petits états centro-américains en étaient une fois de plus à guerroyer entre eux au moment où ils étaient menacés par l’envahisseur. M. Buchanan, bien qu’il parle avec une certaine aigreur de l’Espagne, ne propose pas sans doute d’aller conquérir Cuba ou d’acheter à prix d’argent la possession espagnole ; mais d’autres se chargeront de ce soin, et on a vu récemment un journal américain offrir le plus singulier marché au Mexique, qui est en querelle avec l’Espagne, comme on sait. Les Yankees veulent payer l’île de Cuba 100 millions de dollars : or cette somme, ils ne tiennent pas essentiellement à la payer au gouvernement de Madrid, ils aimeraient mieux la compter à la république mexicaine. Que le Mexique déclare la guerre à l’Espagne, les Américains se chargent d’aller conquérir Cuba sous le drapeau mexicain ; 20 millions de dollars suffisent pour mener l’entreprise à bonne fin. Le calcul est dès lors fort simple ; Cuba reste aux États-Unis, et les autres 80 millions de dollars reviennent au Mexique. Dépouillez cette combinaison de ce qu’elle a de plus choquant, ce n’est au fond que la traduction des théories de la conférence d’Ostende. Le fait est que ces 80 millions de dollars viendraient fort à propos pour le Mexique, dont la détresse financière n’est égalée que par l’anarchie profonde de cette malheureuse république.

S’il est un pays en effet pour qui cette année n’ait point été favorable, ce pays est bien le Mexique, l’année a commencé pour cette triste république par les convulsions, elle finit par la guerre civile, la dictature et les menaces d’une guerre étrangère avec l’Espagne. Dans cet espace de temps, Il y a eu cependant au Mexique une apparence de travail d’organisation. Un congrès extraordinaire, convoqué après la révolution dernière, a voté une constitution très démocratique, qui devait être mise en vigueur au mois de septembre. Un président définitif a été nommé, c’est M. Comonfort. Un congrès ordinaire a été bientôt élu à son tour. Malheureusement en Amérique la réalité ne répond pas toujours aux apparences, et les constitutions sont faites pour être suspendues aussitôt que votées. Il s’ensuit qu’au moment où la loi fondamentale mexicaine allait être mise à exécution, lorsque le nouveau président et le nouveau congrès se sont trouvés en présence, leur première pensée a été de suspendre la constitution et ils ont invoqué naturellement, pour légitimer cette mesure exceptionnelle, la situation intérieure et extérieure, politique et financière du pays. Il était plus facile de voir le mal que de trouver le remède. M. Comonfort a donc été investi de facultés extraordinaires. Il a reçu du congrès le droit de suspendre la liberté individuelle, la liberté de la presse, d’édicter administrativement des peines, de contracter des emprunts, de porter l’armée au chiffre de trente-cinq mille hommes, de traiter pour la concession de la voie de communication interocéanique par l’isthme de Tehuantepec. En un mot, M. Comonfort a été déclaré dictateur ; mais que peut-il faire de sa dictature ? Voilà le plus grand embarras, car telle est la situation du Mexique que le désordre est arrivé à être une véritable décomposition, et comme d’un autre côté l’anarchie est avant tout dans l’administration, dans la justice, dans l’armée, dans toutes