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qui vient d’arriver d’Amérique : c’est le premier message de M. Buchanan, depuis que le nouveau président fait son entrée à la Maison-Blanche, à Washington. Il faut rendre cette justice à M. Buchanan, qu’il expose avec modération les affaires de son pays. Il suit les opinions de son parti, il ne s’asservit pas à ses passions, et surtout il ne parle pas son langage, si souvent brutal et provoquant. Ce n’est plus évidemment le très libre théoricien des conférences d’Ostende ; c’est l’homme éclairé par le pouvoir, le politique qui a pour première mission de faire exécuter les lois, et qui se sent tenu de reconnaître l’autorité du droit dans les relations avec les autres peuples. M. Buchanan parcourt donc toutes ces affaires intérieures et extérieures qui résument la situation actuelle des États-Unis : la crise financière, l’expédition, jusqu’ici impuissante contre les mormons de l’Utah, le pénible travail d’organisation qui se poursuit dans le Kansas, les entreprises des flibustiers, les relations diplomatiques avec l’Angleterre au sujet de l’Amérique centrale, cet éternel objet de discussion entre les deux gouvernemens. En décrivant avec sévérité la dernière crise industrielle et financière qui a éclaté avec tant de violence aux États-Unis, M. Buchanan n’hésite point à l’attribuer surtout à la multiplicité des banques, à l’abandon du principe qui donnait autrefois à l’état seul le droit d’être le régulateur de la circulation et en parlant ainsi, il touche peut-être un point grave, dans l’histoire des États-Unis. N’est-il pas trop certain qu’il y a eu un moment où la politique américaine a subi en toute chose une sensible déviation ? À l’origine, lorsque les premiers fondateurs de l’Union instituèrent le régime fédéral. Ils étaient loin de le comprendre comme on l’a compris depuis ; ils assurèrent aux pouvoirs publics leurs plus essentielles prérogatives, notamment celle de frapper monnaie et de régler la circulation. Ce n’est que plus tard que ce principe a été abandonné, et c’est alors que sont nées ces quatorze cents banques qui ont multiplié le papier-monnaie pour alimenter des passions effrénées de spéculation. Ce qui s’est réalisé en matière de banque, on l’a vu se manifester sous toutes les formes, dans toutes les voies de l’activité publique aux États-Unis. Les droits de l’initiative individuelle ont triomphé partout, et dans le fond, l’esprit d’annexion et de conquête, ne dérive point d’un autre principe que la liberté absolue et illimitée des banques. C’est là l’œuvre du parti démocratique. Or M. Buchanan, qui est l’élu du parti démocratique, se trouve ici dans une situation assez étrange : son bon sens lui montre où est la cause du mal, et les traditions de son parti lui interdisent d’aller plus loin, car la logique pourrait le conduire à réclamer le rétablissement d’une banque centrale. Aussi s’abstient-il prudemment de conclure ; tout au plus propose-t-il quelques palliatifs. Il fait appel au patriotisme des états, à la sagesse de ses compatriotes.

La modération du message de M. Buchanan en ce qui touche la politique extérieure, cette modération est réelle, on ne le peut nier. Il ne faut pas trop s’y méprendre pourtant : c’est le langage prudent et habile d’un chef d’état qui salue le droit public dans un pays où tout se fait sans le gouvernement, où tout est livré à l’inspiration individuelle, et où la communauté recueille les fruits des entreprises qui réussissent, sauf à désavouer celles qui échouent. M. Buchanan peut bien flétrir les tentatives des flibustiers,