Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 13.djvu/230

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

1 million de francs au dévouement patriotique des citoyens d’Albany, Mme Blandina Dudley a souscrit aussitôt pour le quart de cette somme, savoir 50,000 dollars.

Je n’aborde qu’avec peine et presque avec dégoût l’incroyable panique de fin du monde qui a marqué si singulièrement l’année 1857. Cette épidémie morale d’ignorance fait peu d’honneur aux classes distinguées de la société actuelle qui devraient savoir que dans notre siècle il n’est pas plus permis d’avoir peur des comètes que des revenans, à moins qu’on ne veuille rechercher l’émotion de la peur comme un agrément, suivant le mot de Fontenelle : « Je ne crois pas aux esprits, mais j’en ai peur ! »

J’ai été fort peu sensible à l’honneur qu’on m’a fait en cette circonstance d’appeler mon témoignage à l’appui du bon sens. Dans plusieurs communes de France, on a affiché un extrait de cette Revue où je parlais de la ténuité des comètes. Cet extrait a été traduit dans toutes les langues. Il serait trop long et trop fastidieux de raconter tous les traits de délire qui ont été la suite de cette frayeur, dont l’origine n’a pu être retrouvée. Dans l’almanach arménien, qui diffère du nôtre de treize jours, la catastrophe était de rigueur aussi au 13 de juin, en sorte que le monde, après avoir péri à la date du style grégorien, serait mort de nouveau, treize jours plus tard, à la même date du calendrier Julien. Bien plus, ce même calendrier arménien, après avoir prédit la fin du monde pour le 13 juin, annonçait une nouvelle catastrophe pour le 29 du même mois. Nos ancêtres n’avaient-ils pas raison de parler avec Gresset

De guid’ânes et d’almanachs,


et cela ne rappelle-t-il pas le prétendu mot du médecin irlandais : « Comment va le malade ? — Il est mort. — Comment mort ? Il n’a donc pas pris ma médecine ? — Au contraire, c’est aussitôt après qu’il a rendu l’âme. — Ah ! s’il ne l’eût pas prise, vous auriez vu bien pis ! » En vérité, on serait tenté de dire au public comme un plaisant à un homme qui parlait à tort et à travers : « Vous devez être bien riche en bon sens ? — Comment ? — Parce que vous en dépensez bien peu ! »

À part les inquiétudes, un grand nombre de personnes ont entrepris des voyages longs et dispendieux, et ont quitté Paris pour aller mourir en famille. La comète maudite m’a valu une centaine de lettres, outre je ne sais combien de visites et de députations collectives d’ateliers. En voilà probablement pour quinze ou vingt ans avant qu’il ne survienne une nouvelle crise, à moins que la science n’y mette ordre en se répandant dans la masse des hommes, ce qui est à désirer plus qu’à espérer d’après l’expérience du passé, malgré Mme de Staël et la perfectibilité du genre humain.

Les saisons semblent avoir en 1857 repris leur cours régulier. Rien ne nous a manqué, pas même l’été de la Saint-Martin, l’une des infaillibilités de notre Europe occidentale. Dans l’état normal, la France, par le vent de sud-ouest, souffle pendant cinq ou six mois sur la Russie à travers les plaines basses de l’Allemagne, et comme après le vent dominant le vent contraire est le sous-dominant, la Russie souffle sur la France par le vent de nord-est