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composent pas son opinion et son esprit, ils ne se portent pas surtout à la place publique et au théâtre : ils peuvent inspirer quelques écrits et quelques drames aux âmes qui les ressentent ; ils ne peuvent pas créer un théâtre national et populaire.

Prenez garde, me dira-t-on ; à quoi bon parler du drame religieux, si, de votre aveu même, les drames religieux ont pu quelquefois et de loin en loin intéresser nos devanciers du XVIIe siècle, mais s’ils ne peuvent plus nous intéresser de la même manière, si enfin l’esprit de la société actuelle est trop peu pénétré de religion pour comprendre la beauté et la grandeur du drame religieux ?

Qu’est-ce à dire ? et savons-nous quel arrêt nous portons contre nous quand nous nous déclarons peu accessibles aux émotions du sentiment religieux ? Ne sommes-nous plus capables que de calcul ou de gaudriole ? sommes-nous irrévocablement attachés à la terre ? n’avons-nous plus que le souci des intérêts et des jouissances matérielles ? Je sais tout ce qu’on peut dire à ce sujet de vrai et d’éloquent ; mais, comme je ne suis pas obligé de juger mon siècle sur la minute, je garde bonne opinion et bonne espérance. Je ne veux pas dire que de nos jours l’esprit français soit encore profondément religieux ; mais il est resté tout au moins, et en dépit des apparences, profondément idéaliste : c’est son mérite et son tort, c’est sa force et sa faiblesse. Voyez depuis soixante ans : qui a fait plus de systèmes et de théories que le génie français ? qui a plus essayé de régler son gouvernement sur la théorie ? qui a plus de confiance en la pensée humaine ? qui risque et aventure plus lestement la fortune publique sur la foi des utopies ? Le génie français a donc le goût des grandes idées et des grands sentimens : or comment le sentiment religieux n’aurait-il pas sa place parmi de pareils sentimens ? L’idée religieuse n’est-elle pas à la fois l’idée la plus générale et la plus individuelle ? C’est là ce qui la rend éminemment propre à l’humanité ; elle unit les peuples, et elle soutient les individus. La foi s’accommode aussi bien d’être associée que d’être isolée : dans l’association, elle s’appuie ; dans l’isolement, elle s’exalte.

Avec l’idéalisme que nous avons, le sentiment religieux a donc toujours en nous des racines vivaces, et à quiconque se targuerait hautainement devant moi de ne pas croire en Dieu, je répondrais simplement que tôt ou tard il traitera Dieu comme une théorie, et qu’il y croira. Je ne sais pas en effet pourquoi de toutes les idées immatérielles la religion serait la seule que nous persisterions à repousser. Le sentiment religieux n’enveloppera et n’absorbera plus les autres sentimens comme il faisait autrefois, mais il ne sera ni absorbé ni détruit non plus par eux.

Quelles que soient les espérances que j’attache à l’idéalisme français,