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les dogmes chrétiens soient jamais mis sur la scène ; il « ne compte pas non plus parmi les spectacles parfaits ces sujets cruels et injustes, comme ceux où l’on expose les martyres de quelques saints, où l’on nous fait voir la vertu traitée si effroyablement, qu’au lieu de nous fondre en larmes à l’aspect de ces cruautés, nous avons le cœur serré par l’horreur que nous concevons d’une si étrange injustice[1]. » Il va plus loin ; il blâme vivement les théâtres qui mêlent, même par occasion et par incident, les choses saintes aux choses profanes. « Les Espagnols, dit-il avec un reste de la haine que les entreprises de l’Espagne pendant la ligue avaient inspirée aux bons Français, les Espagnols, ces catholiques qui ne font jamais d’entreprises dont les intérêts de la foi ne soient le spécieux prétexte, ont-ils aucune comédie où les saints ne soient nommés, — où le nom trois fois adorable ne soit prononcé à toute heure parmi des contes ridicules, — et où la sainte eucharistie ne serve d’exclamation dans les intrigues amoureuses et autres pareilles rencontres[2] ? »

Voilà la véritable doctrine du XVIIe siècle : il repousse les sujets sacrés par respect. La gravité et la dignité que le génie français mettait dans la religion au XVIIe siècle ne lui permettaient guère de s’en inspirer au théâtre : il en faisait sa règle, sa loi, et non sa poésie.


IV

Si c’était le respect qui, au XVIIe siècle, excluait en général les sujets religieux de la tragédie, est-ce la même raison qui a maintenu cette exclusion au XVIIIe siècle et même de nos jours, malgré quelques tentatives ingénieuses et heureuses ? De nos jours, les causes générales de cette exclusion subsistent toutes : celles qui viennent de la renaissance, celles qui viennent de la nature du poème dramatique, celles qui viennent de la doctrine du XVIIe siècle. Il y a de plus une cause particulière à notre temps, et je ne veux ni atténuer ni exagérer cette cause : je parle de l’affaiblissement général des croyances et des pratiques religieuses. Je suis de ceux qui sont persuadés que la religion tiendra toujours une grande place dans l’esprit humain, soit sous une forme, soit sous une autre, sous forme d’acquiescement raisonné, ou d’inquiétude et de trouble, ou de foi sincère et naïve. Toutefois ces sentimens-là sont de plus en plus particuliers et propres à ceux qui les ressentent. Ils font leur consolation et leur force ; ils n’ont rien de commun et de général ; ils sont la piété des individus, ils ne sont pas la piété d’un peuple ; ils ne

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