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qu’un terme qui n’a ni jambes, ni bras, et par conséquent point d’action. » Il manque aux sujets sacrés les deux principales choses qui sont l’intérêt et le fond même de la poésie dramatique, la re-r présentation des passions humaines et la représentation de la vie privée. Les passions humaines sont mal à leur aise dans le drame religieux, dont le principal héros met sa gloire à étouffer ses passions. À quoi donc nous intéresser ? Au triomphe de la règle et de la vertu, triomphe qui, pour être conforme au caractère du héros, ne doit pas même avoir les agitations du combat et les incertitudes de la lutte ? Le plaisir de voir triompher la vertu sans efforts ne peut pas nous retenir longtemps au théâtre, où nous n’allons plus, comme nos aïeux du XVe siècle, chercher l’édification : nous allons y chercher l’émotion. La représentation de la vie privée, cette autre ressource principale du théâtre, n’est pas plus à son aise que la représentation des passions, — non point que les saints et les saintes ne soient pas d’une condition privée ; mais la vie privée dans les saints et dans les martyrs cède naturellement le pas à la vie religieuse. Le saint se dépouille de sa patrie et de sa famille pour ne plus songer qu’au ciel. Les affections du monde, les tracas de la vie, les intérêts terrestres, les embarras, les soins, les contrariétés, les travers, les ridicules, les vices, tout en lui s’efface et disparaît devant l’ascendant de la foi. Est-ce un personnage dramatique, celui que la tragédie ne peut point prendre par ses passions, ni la comédie par ses ridicules ? Dans la tragédie comme dans la comédie, la vie privée règne au théâtre, et quiconque n’a pas les passions ou les travers, les aventures tristes ou plaisantes de la vie privée, n’est pas un héros fait pour la scène. On a souvent essayé de représenter la vie publique sur le théâtre et de mettre en tragédies les révolutions des empires. Ces révolutions n’ont jamais réussi au théâtre que par le côté où elles touchaient à la vie privée en la troublant. Strafford n’est touchant que sur l’échafaud. Le ministre qui m’intéresse dans l’histoire me laisse froid au théâtre. Je ne commence à m’émouvoir qu’en face du condamné. Il y a pourtant de grandes passions en jeu dans la politique ; mais ces passions ne satisfont pas, toutes violentes qu’elles soient, à l’intérêt de l’art dramatique. Elles ne sont point assez communes à tous les hommes ; elles sont de l’élite, au lieu d’être de tout le monde : c’est là ce qui fait leur infériorité sur la scène.

La vie religieuse ne réussit pas mieux au théâtre que la vie politique, ou bien elle n’y réussit de même que par le côté où elle touche à la vie privée en la troublant. Quoi que vous fassiez, la femme et les enfans du martyr que vous mettrez sur la scène, et qui ira sans