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L’amour exagéré de l’égalité, qui touche de si près à l’envie, fait paraître intolérables et presque insolentes ces fortunes soudaines qui se sont élevées tout à coup au-dessus du niveau commun. Venues en peu de temps, elles semblent n’avoir rien coûté et braver avec trop d’éclat la médiocrité laborieuse. De plus, l’influence à laquelle elles ne peuvent s’empêcher de prétendre est la seule peut-être que notre instinct chevaleresque ait de tout temps repoussée. L’ascendant du génie ou du talent nous trouve tout prêts à nous laisser séduire ; celui que donne le pouvoir nous fait fléchir sans beaucoup de peine : nous nous retrouvons rebelles et railleurs en face des prétentions de la richesse, et, sans la dédaigner au point de négliger les moyens de l’acquérir, nous sommes enclins à mépriser ceux qui paraissent lui accorder plus d’importance qu’aux choses de l’esprit. La presse française ne peut donc s’empêcher d’entrer sur ce point dans les sentimens du public et d’éviter toutes les apparences qui pourraient l’amoindrir elle-même à ses yeux.

La politique l’occupe ainsi presque exclusivement, et la politique étrangère au moins autant que la politique intérieure ; mais ce qui paraît étrange au premier abord, c’est qu’une préoccupation si constante des choses du dehors se concilie parfaitement avec le défaut presque absolu d’information exacte et intelligente. Nous n’apprendrons rien à nos lecteurs en leur rappelant qu’il existe à Paris une agence commune qui chaque jour traduit, tant bien que mal et avec plus ou moins de discernement, quelques passages d’un certain nombre de journaux étrangers, et que ces extraits, lithographies et distribués à tous les journaux, leur tiennent lieu (sauf quelques rares exceptions) de ces correspondances spéciales et constantes, de ces services réguliers ou extraordinaires qu’entretient à grands frais la presse anglaise. La presse française est en général mal informée, et c’est le plus souvent sur les données les plus vagues et les plus insuffisantes que reposent ses plus hautes spéculations sur la politique étrangère.

La situation politique de la presse française suffirait seule au besoin à expliquer cet état de choses. Il est évident que, si elle avait un service régulier de correspondances, elle éprouverait plus d’une fois l’embarras des richesses, et que les détails les plus intéressans pourraient être précisément ceux qu’il lui serait implicitement ou explicitement interdit de publier. Elle courrait donc souvent le risque de perdre sa peine et son argent. Ce n’est pourtant là qu’une raison secondaire et passagère de cette inévitable négligence ; le goût du public en est la raison ancienne, permanente et péremptoire. Étranger à cette idée de l’équilibre européen et à ces notions de droit international qui sont heureusement vulgaires chez nos voisins, le public français envisage les affaires étrangères avec une