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faut lui dire clairement de quoi il s’agit. Qu’on lui parle d’une révolution, d’une intrigue diplomatique, d’une bataille, d’un accident, aucun détail ne le lasse ni ne le rebute ; on dirait qu’il assiste à l’instruction d’une cause et il est aussi patient devant son journal que sur les bancs du jury.

C’est à force d’être curieux qu’il est impartial. Loin d’être blessé de trouver dans son journal des faits ou des discours contraires à son opinion, il serait irrité qu’on voulût lui en dérober quelque chose. Ce serait mal s’y prendre pour le flatter que de mutiler le discours de tel orateur parlementaire ou populaire, que de supprimer tel meeting ou tel procès. Certes l’habitude de l’équité est pour beaucoup dans cette exigence, et le franc jeu, le fair play, semble un droit acquis d’avance à tout parti devant l’opinion, comme à tout accusé devant la justice ; mais ce noble sentiment est aiguisé par une curiosité défiante, et la crainte d’être dupe vient en aide au désir d’être juste.

Les faits ainsi connus servent d’aliment aux articles de fond du journal, qui s’efforce d’en tirer les déductions les plus conformes à l’intérêt public ou à ses passions. Il serait difficile de marquer d’un seul trait le caractère le plus général de ces articles. Cependant on peut reconnaître que la tendance la plus constante de la presse anglaise est de ne prendre en considération qu’une chose à la fois, et que la maxime age quod agis est ordinairement la règle de sa conduite. Elle a de tout temps sous les yeux quelque question très importante à laquelle toutes les autres considérations sont inflexiblement subordonnées. Cette question peut changer de face, et aussitôt la presse change de langage, docile à suivre dans tous ses détours la politique nationale et l’intérêt évident du pays. On sait par exemple que, depuis quelques années, l’Angleterre est surtout préoccupée de la nécessité d’affaiblir ou plutôt de limiter la puissance de la Russie. On pourrait suivre presque jour par jour les divers mouvemens qu’a imprimés à la presse anglaise ce grand intérêt national. D’une polémique ardente contre le gouvernement français on est passé à des ménagemens infinis et à des avances engageantes, parce que la première condition de la tâche qu’on avait entreprise était de vivre en bonne intelligence avec ce gouvernement. Pendant la guerre, rien n’était plus curieux que le langage variable de la presse anglaise, suivant exactement les vacillations de l’Autriche, qui était tantôt menacée de la révolution, tantôt rassurée contre elle. Et comme Kossuth s’étonnait, dans un meeting, qu’on ne saisît point cette occasion de relever la Hongrie, le Times lui dit avec sa franchise accoutumée qu’il était bien naïf de croire que, si l’Angleterre avait besoin de lui et de sa Hongrie, elle le laisserait ainsi perdre son temps à discourir, et n’irait pas d’elle-même le chercher. On