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violente, et le directeur rompit avec son chef d’orchestre, qui s’engagea dans un autre établissement. Vers la fin du mois, les oppositions de Bergevin et du cafetier vinrent diminuer de moitié la somme modique allouée à Urbain par son nouveau directeur. Il pensa à Madeleine, qui était à Blois, et à qui rien ne manquait. — Ah ! dit-il, voilà comment les femmes vous abandonnent!

Inquiète sur le sort de son mari et séparée de Paul, Madeleine luttait vaillamment contre la tristesse noire qui l’envahissait. La jeune femme enferma sa vie entre sa mère, le père Noël et Louison. Dans ce cercle étroit où ses anciennes connaissances l’oubliaient après l’avoir blessée, tout n’était pas pour elle douceur et consolation. Elle avait à subir presque tous les jours les récriminations de la mère Béru et ce terrible «je te l’avais bien dit! » que tant de gens enfoncent comme une épine dans les plaies vives. Elle supportait tout sans se plaindre et s’acharnait au travail, qui servait du moins à distraire sa pensée. L’excès seul de la fatigue lui faisait trouver le sommeil; dès qu’elle ouvrait les yeux, le sentiment de la réalité rentrait dans son cœur endolori avec la vitesse et la violence d’une pierre lancée par une fronde. Le père Noël, qui l’observait, pouvait calculer heure par heure les progrès du mal contre lequel Madeleine se débattait. Il s’imagina que le séjour de la campagne où elle avait rencontré Urbain aurait une double influence sur son état maladif. Il lui proposa de partir, et elle accepta avec un empressement de bon augure. Elle espérait au moins trouver un silence absolu dans cette solitude, et le silence dans lequel elle se plongeait durant de longues heures était devenu le plus câpre de ses besoins. Dans cette maison des champs, cachée au bord d’un bois, elle en savourerait sans trouble les amères délices. Madeleine s’y blottit donc comme un oiseau blessé dans le creux d’un arbre. Elle revit l’église où deux fois elle avait prié, et s’y agenouilla de nouveau, versant tout son cœur aux pieds de Dieu. Elle en sortit plus forte et put repasser par les mêmes sentiers, s’asseoir sous les mêmes futaies, regarder les mêmes horizons sans un trouble trop cuisant. — Ah! dit-elle, c’était le matin; c’est le soir à présent!

Elle prit l’habitude des promenades quotidiennes; elle affectionnait particulièrement la lisière d’un grand bois d’où la vue dominait la vallée et s’étendait au loin sur le fleuve, qui prenait des teintes d’or au soleil couchant. La saison était froide; les oiseaux du nord passaient dans le ciel gris; le vent chassait les feuilles mortes; la terre devenait dure et sonore sous les pieds. Madeleine allait et venait le long de la forêt, cherchant à vaincre la fièvre par la marche. L’excessive lassitude lui était un soulagement : elle endormait son agitation nerveuse. Souvent elle emmenait Louison avec elle, s’as-