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tête, et, tout en riant, grondait encore. — Il faudra voir, disait-il, un mois ou deux, ce n’est pas déjà si long !

Le premier résultat de cette retraite et de ce travail où Urbain se retrempait fut d’assouplir son talent et de le rendre plus ferme en ne lui faisant rien perdre de son éclat. Un soir, après l’exécution d’un morceau qu’il avait achevé, le père Noël ne put s’empêcher de le complimenter si franchement, qu’un éclair de joie parut dans les yeux du jeune compositeur. Un acte entier de Sardanapale fut alors écrit. A quelque temps de là, Urbain eut l’idée de prêter son concours à un festival qu’on organisait au profit des pauvres. Son offre fut acceptée avec empressement. Le père Noël vit un danger dans le projet d’Urbain, et s’en ouvrit à Madeleine. La fièvre du succès pouvait enivrer le jeune artiste et lui faire prendre la résolution immédiate de quitter Blois. S’il partait, était-il mûr pour la lutte? Il y avait là un écueil. Madeleine le comprit, mais il était trop tard pour empêcher le festival, et elle en attendit le résultat avec un mélange de crainte et d’impatience.

Tout le beau monde de Blois remplissait la salle où le festival eut lieu. On était revenu de la campagne pour assister à cette solennité musicale, la plus belle que le chef-lieu eût vue depuis longtemps. Le grand intérêt de la réunion se concentrait sur Urbain, Quand il prit l’archet pour conduire l’orchestre, une salve d’applaudissemens l’accueillit. Une ouverture et quelques morceaux furent exécutés. Toutes les mains battirent avec fracas. — Voilà ce que je craignais, murmura le père Noël. — Le concert fini, cent personnes entourèrent Urbain pour le féliciter. Que tardait-il pour transporter sur un plus grand théâtre les productions éclatantes de son talent? L’épreuve était faite, sa place était marquée à Paris. On ne tarissait pas en éloges; il n’y avait qu’une voix sur le succès qui l’attendait. — Souvenez-vous seulement alors de ceux qui vous l’ont prédit, lui disait-on.

Urbain, complètement fasciné, rentra résolu à suivre ces conseils. Madeleine hasarda quelques timides avis. Il pouvait rester à Blois, terminer paisiblement son œuvre et faire un voyage à Paris. De cette façon, quoi qu’il arrivât, il ne compromettrait rien; la succession du père Noël ne lui manquerait pas. Il serait organiste. — Pourquoi pas chantre de paroisse! répondit-il brutalement.

Rien ne s’opposa plus au départ d’Urbain. Madeleine en avertit le père Noël. Elle ne put retenir quelques larmes en regardant la Loire et les doux paysages où son cours paresseux se déroule. — Nous ne sommes pas faits pour être heureux, dit-elle, puisqu’il n’a pas voulu l’être ici. — Elle hâta les préparatifs du voyage avec une sorte de fièvre. Mille inquiétudes inexpliquées l’agitaient. Les paroles que le