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longtemps cette aptitude; savant et très bon musicien lui-même, il y voyait les germes d’une vocation plus sérieuse, et s’était pris d’amitié pour le jeune orphelin, auquel il avait donné des leçons avec un soin tout particulier. L’enfant, il faut le dire, en profitait à merveille, soutenu qu’il était par une grande mémoire et une prodigieuse facilité. Ces leçons de musique, prodiguées avec un zèle que rien ne ralentissait, n’étaient pas les seuls témoignages d’affection que le père Noël eût donnés à Urbain. Il avait été l’un des premiers à répondre à l’appel touchant du pauvre mercier, et si on l’avait laissé faire, il n’aurait demandé l’appui de personne pour pousser son jeune élève dans le monde.

Ce père Noël, que personne n’appelait jamais M. Noël, on ne sait pourquoi, était, à vrai dire, un personnage singulier. Toujours vêtu d’une longue redingote vert-bouteille, d’un pantalon et d’un gilet noirs, fort grand, maigre et tout couvert de cheveux gris, il avait un aspect imposant, qui pouvait devenir terrible sous l’influence de la colère, mais que tempérait une grande expression de bonté. Ceux qui le connaissaient le mieux affirmaient que le père Noël avait été jadis capitaine de cuirassiers. Un grand chagrin, sur lequel on n’avait pas de détails précis, lui avait fait quitter l’épaulette. Il s’était retiré à Blois, où son talent lui avait valu l’emploi d’organiste à Saint-Louis. Un cuirassier si bon musicien, cela était assez rare pour appeler l’attention. Le silence entêté du père Noël découragea les plus curieux : on l’oublia, et les enfans, pour lesquels il avait institué une classe gratuite de musique, devinrent ses seuls amis. Il les grondait fort et leur donnait des bonbons, parfois aussi quelque argent, quand la famille était pauvre. Ils lui appliquèrent bientôt le sobriquet de père Noël. Dans l’opinion de bien des gens, le père Noël passait pour avoir d’assez belles économies. Le plus clair était qu’il ne dépensait rien pour lui. Il avait alors soixante ans.

La première fois que le père Noël vit Urbain, l’enfant lui prit la main et marcha à son côté. — Çà ! dit le père Noël, où vas-tu, mon bonhomme? — Je vais où vous allez, dit Urbain. Ce mot fit sourire le vieillard : il embrassa l’enfant et l’adopta en quelque sorte, si bien que, dès l’âge de vingt ans, Urbain composait des romances et d’autres morceaux de musique dont la ville raffolait. Le père Noël ne les aimait peut-être pas beaucoup et aurait préféré plus d’assiduité au travail; mais, tout en grondant, il se réjouissait des succès précoces de son élève.

À cette époque de la vie d’Urbain, les facultés du jeune artiste paraissaient d’autant plus brillantes qu’il avait devant lui un plus long avenir. Développées par le travail auquel le père Noël le forçait de s’assujettir, excitées par les premiers élans d’une verve qui ne demandait qu’à s’épancher, elles se manifestèrent par quelques