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raient l’accroître, et l’on ne comprend plus dès-lors la nécessité, ni même l’opportunité de la grande scène du second acte, où la prêtresse cherche à arracher à Sinorix un aveu positif, à moins qu’on n’admette avec le poète qu’il ne s’agit point d’une vengeance ordinaire, mais d’un châtiment solennel.

Camma épousera-t-elle Sinorix, ou ne l’épousera-t-elle pas? Telle est la question qui domine ce second acte, un peu lent malgré les beaux vers qu’il contient. De longues discussions sur la convenance de ce mariage ne sauraient plaire qu’à la lecture. M. Montanelli eût sagement fait d’abréger, au risque d’écourter le légitime développement de sa pensée. Il était assez riche en vers harmonieux pour faire sans trop de regrets un pareil sacrifice. Il n’y eût rien perdu comme poète, et comme auteur dramatique il y eût assurément gagné. On peut effacer bien des lignes quand on a écrit ce passage du monologue de Camma : « O Sinato! tu gémis; je t’entends; c’est en vain que le dieu qui guide les âmes t’ouvrit les derniers cercles de l’éternelle joie. Je te vois aux bords de mon étoile errer mélancolique et seul, fixant tes regards sur les flots resplendissans de l’immense éther répandu entre nous. A chaque nacelle qui amène d’heureux habitans, tu nourris l’espérance que Camma vient enfin te rejoindre. La nacelle aborde; l’un après l’autre les hôtes nouveaux descendent en chantant un hosanna à Corivena; en vain tu me cherches parmi eux, et tu te reprends à pleurer. »

Je me reprocherais toutefois de louer exclusivement le talent poétique de M. Montanelli, car il y a dans Camma, même au point de vue de l’action, des scènes parfaitement réussies et d’un grand effet. Je n’en veux pour preuve que celle où la druidesse, feignant d’aimer le meurtrier inconnu de Sinatus, arrache à Sinorix son secret. Cette situation était nouvelle et risquée. Camma arrive au vrai par des moyens peu avouables, et l’auteur l’a si bien compris, que, dès le premier acte, il prévient habilement les objections à cet égard : Camma y prie Koridwen, la Diane gauloise, de sanctifier les voies tortueuses de la trahison :

Tu santifica coiitro il traditore
Le tenebrose vie del tradimento.


Plus loin, elle exprime la douleur qu’elle éprouve de recourir à la feinte. Prévenu ou non prévenu, le public accepte cette scène difficile, et je crois qu’une fois sur le terrain de convention où l’auteur s’est placé, il n’a pas tort de le suivre. Ceux-là seuls qui veulent rester dans l’ordre naturel et dans le domaine de la vraisemblance pourraient s’étonner que Sinorix soit assez crédule pour ajouter foi à un amour si extraordinaire de la part d’une femme qui aimait son mari, et que, sur une confession si peu attendue, il oublie les lois de la plus vulgaire prudence et se livre aussitôt. M. Montanelli pense sans doute, avec le poète, que la divinité aveugle ceux qu’elle veut perdre. Il y aurait lieu encore de demander pourquoi Camma n’accepte pas comme une preuve suffisante du meurtre la blessure dont le bras de Sinorix porte la marque, tandis qu’elle se laisse convaincre, quand ce dernier lui affirme, sans preuves, qu’il a arraché le cœur à sa victime et qu’il le conserve chez lui. Ce sont là néanmoins des détails de peu d’importance; ils n’empêchent pas l’action d’être fort bien conduite, et le dialogue de paraître infiniment plus dramatique que dans les autres parties de l’ouvrage.