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exemple, et qu’on pourrait mettre en avant Eschyle, Shakspeare, les Espagnols; mais le génie dramatique de la France et de l’Italie ne comporte pas au même degré cette exubérance. Je sais encore que la scène se passe en Asie, et que les personnages sont des druides, des prêtresses, des bardes; mais alors pourquoi Sinorix, le criminel, le personnage prosaïque par excellence, dont l’amour même ne peut qu’être brutal et terre-à-terre, parle-t-il, lui aussi, cette langue pittoresque qui n’a de prix à nos yeux que parce qu’on y veut voir l’expression naturelle de la pensée qui s’élève? Même en Asie d’ailleurs, c’est l’imagination qui parle par figures : quand elle fait place à quelque forte passion, le langage de l’Orient et celui de l’Occident se rapprochent et tendent à se confondre. L’auteur de Camma n’a point méconnu cette vérité ; je lui reproche seulement de ne s’en être souvenu que dans un trop petit nombre de scènes, et d’avoir préféré trop souvent le langage fleuri de l’imagination aux simples accens de la passion.

J’entends dire qu’il y a là une question de doctrine, et que M. Montanelli se rattache volontairement par le style à l’école de Niccolini. On sait qu’Alfieri, voulant que vi vers fût simple et nu, comme il convient pour le drame, le fit aride et sec, comme il le trouvait dans son génie. Plus tard, par une juste réaction contre cet excès, qui n’était lui-même qu’une réaction, Niccolini a ramené la couleur au théâtre, tandis que Géricault, triomphant de David, lui rendait dans les arts du dessin son importance méconnue. Encore aujourd’hui l’école d’Alfieri est florissante, elle se compose principalement des poètes sans imagination; les autres, mieux doués et plus rares, suivent les traces de Niccolini. M. Montanelli est de ce nombre, sa filiation est évidente. Malheureusement, comme tout disciple, il enchérit sur le maître : il fait de la poésie une immense métaphore, et telle est même son aisance à manier cette langue orientale, qu’on a peine à croire à un effort de sa part.

Le premier acte de Camma est une exposition généralement satisfaisante. Il faut que nous connaissions la prêtresse inspirée pour être touchés de son désespoir quand elle apprendra la mort de Sinatus, et pour nous intéresser à ses projets de vengeance, quand ses amis l’auront décidée à vivre afin de châtier le meurtrier. J’applaudirais également sans réserve lorsque Sinorix triomphant vient offrir à Camma d’hypocrites et odieuses consolations, si la fin de cette scène ne soulevait une grave objection, malgré l’effet qu’elle produit au théâtre. Les paroles du nouveau tétrarque sont en apparence celles d’un honnête homme et d’un ami : comment donc Camma peut-elle deviner que le coupable est près d’elle?

La mia vittima è qui, la sento!


Comment devine-t-elle qu’il n’est autre que Sinorix lui-même, è desso? Apparemment l’auteur a voulu qu’il n’y eût rien de logique ni même d’explicable dans cette intuition. S’il est vrai, comme on l’assure, qu’il y veuille voir un phénomène magnétique, ce phénomène atteindrait à un degré extraordinaire de précision et d’évidence, puisque Camma est inspirée. C’est à dessein que M. Montanelli évite de mettre dans la bouche de Sinorix toute parole qui soit un indice révélateur pour de simples mortels; peut-être n’a-t-il pas assez pris garde aux conséquences. Si la certitude de Camma n’est pas puisée aux sources communes, les preuves de l’ordre naturel ne sau-