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accoutumé à une littérature douteuse, une de ses comédies les mieux inspirées, Dalila. Chose humiliante pour tous les vaudevilles et les mélodrames, l’œuvre de M. Feuillet a réussi comme si elle n’était pas le fruit du goût littéraire le plus fin. Elle a montré une fois de plus ce que peuvent sur des spectateurs rassemblés l’élévation de la pensée, la délicatesse de l’observation, la poésie du langage. Dalila est certainement une des conceptions les plus heureuses et les plus fortes de M. Feuillet. On ne l’a pas oublié, c’est l’artiste dans sa nature ardente et vaine, aspirant au luxe, à toutes les joies des sens, à la vie mondaine, à l’amour des grandes dames, et finissant par voir son génie s’épuiser, s’éteindre dans cette atmosphère enflammée et énervante où il est allé se plonger avec une sorte de curiosité fiévreuse. Tous les personnages qui vivent dans le livre, c’est-à-dire qui vivent d’une certaine existence idéale et séduisante, ont, s’il se peut, encore plus de relief à la scène. Ils apparaissent avec leurs traits distincts à l’horizon de ce ciel de Naples. On a retrouvé tous ces héros de la fantaisie, Roswein, l’artiste ébloui, enivré et épuisé, la princesse Falconieri, cette femme si merveilleusement faite pour briser en passant une existence, et ce fou Carnioli ; on a retrouvé aussi le vieux Sertorius, type de l’artiste simple, aimant son art pour lui-même, et aimant encore plus sa fille. L’intérêt s’est attaché surtout à cette dernière scène, où le vieux musicien emporte sa fille morte en Allemagne, tandis que l’autre, Roswein, est à la poursuite d’une image ironique qui fuit. C’est par tous ces traits fins, poétiques, émouvans, que l’œuvre de M. Feuillet a réussi, laissant dans tous les esprits comme le parfum d’une pensée honnête et généreuse. ch. de mazade.



ESSAIS ET NOTICES.
LA TRAGÉDIE ITALIENNE À PARIS.

La tragédie italienne vient d’achever à Paris sa troisième campagne au milieu des applaudissemens. C’est là sans doute un phénomène curieux, car on ne peut l’expliquer ni par le goût du public pour ce genre de spectacle, ni par son désir d’entendre parler une langue qu’il ne comprend guère, ni par l’ensemble et l’habileté de la compagnie dramatique qui s’est chargée de représenter l’art italien parmi nous. Ce qui en réalité attirait la foule à la salle Ventadour, c’est l’exhibition d’un de ces talens de premier ordre qui paraissent avoir seuls aujourd’hui le secret d’animer la tragédie. Pour applaudir Mme  Ristori, nous écoutons Alfieri, Silvio Pellico, même M. Marenco fils ; nous acceptons sans murmurer des comédiens que partout ailleurs on ne supporterait pas. Rien de plus naturel, si l’on se reporte surtout à la première année où la tragédie italienne se produisit, sous les auspices de Mme  Ristori, devant le public parisien : Paris alors ne revenait pas de sa surprise d’avoir rencontré une grande actrice dont il n’avait jamais ouï parler. Cependant, à part quelques excursions, bien vite abandonnées, dans le domaine de la comédie. Mme  Ristori ne se montra d’abord que dans quatre tragédies : Françoise de Rimini, Myrrha, Marie Stuart, Pia des Tolomei. Elle aurait pu n’en jouer qu’une, et la plus faible de toutes, le succès n’eût pas été moins