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se dévoilant sans y songer. Au fond, quelle est cette situation ? Les autorités moldaves travaillent hardiment à une falsification préméditée de l’opinion du pays. La Turquie a publié des firmans pour garantir la liberté des élections dans les provinces danubiennes, et elle applaudit en secret à tout ce qui se fait en Moldavie. L’Autriche patrone, et ne s’en cache pas, le prince Vogoridès. Lord Stratford de Redcliffe assure à Constantinople qu’il ne sait rien, ce qui s’explique peut-être par ses mésintelligences avec le commissaire britannique dans les principautés, M. Bulwer. Les représentans de la France, de la Russie, de la Prusse et de la Sardaigne luttent pour la vérité et la sincérité des élections, systématiquement altérées par le caïmacan moldave. Le prince Vogoridès du reste, il faut le dire, va droit à son but : il a reçu la mission de combattre la réunion des principautés, et il ne recule devant aucune extrémité. Comme si ce n’était pas assez de tous les abus de pouvoir qu’il a commis jusqu’ici, il est allé plus loin récemment : il ne s’est pas contenté de jeter dans les fonctions publiques tous les hommes décriés qui lui ont offert leurs services ; il a voulu opposer manifestation à manifestation, et il a fait sommer les prévôts des corporations d’avoir à signer une pétition contre la réunion des deux provinces. Ceux-ci ont résisté à cette injonction, qui blessait leurs idées, et alors ils ont été pris un matin par des gendarmes ; ils ont été conduits à la municipalité, et ils ont été obligés de signer non-seulement pour eux-mêmes, mais pour des membres des corporations qui étaient absens. Ce n’est là au surplus qu’un des actes des autorités moldaves. Or, en présence de cette série d’excès, une question s’élève naturellement : comment le prince Vogoridès a-t-il été conduit à assumer la responsabilité de tels procédés ? C’est qu’évidemment il se sent appuyé. Ne représentant pas la pensée du pays, il représente une autre politique, dont il s’est fait le docile instrument. S’il lui est venu des scrupules d’ailleurs, on n’a pas eu de peine à les lever. Les conseils et les encouragemens lui sont venus de tous les points de l’horizon, bien entendu de tous ceux où il y avait des intérêts opposés à la fusion des deux provinces. On lui a laissé comprendre que la Turquie, par sa position vis-à-vis de l’Europe, était obligée à certains ménagemens, et que c’était à son zèle, à sa perspicacité, de suppléer aux ordres que le cabinet du sultan ne pouvait lui donner d’une façon ostensible. On lui a dit tout naturellement qu’il n’avait point à se préoccuper de la moralité de ses agens, pourvu qu’ils fussent décidés à travailler contre l’union. Et de fait le prince Vogoridès a marché hardiment. Il faut dire que récemment il a reçu en récompense une décoration de l’Autriche.

Il y a ici une autre question : comment ce système de violences s’exerce-t-il particulièrement dans une seule des deux provinces, dans la Moldavie ? Cela s’explique aisément. Ce n’est pas que, même dans la Valachie, il n’y ait eu bien des excès ; seulement ces excès ont un autre caractère et se sont produits surtout dans l’intérêt personnel du prince Ghika, caïmacan actuel. Quant à l’opinion elle-même, elle est si universellement prononcée en faveur de l’union, qu’on a renoncé à la dominer par la violence. D’ailleurs, la Valachie étant la plus grande et la plus importante des deux provinces, il était difficile de chercher à éveiller ses susceptibilités en la menaçant d’être absorbée. Ces susceptibilités, au contraire, pouvaient, à la rigueur, être exci-