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la mémoire prodigieuse de Rossini, qui en a tiré les premières mesures de l’allegro du trio final du Barbier de Séville :

Zitti, zitti,
Piano, piano.


La première partie des Saisons, pleine de fraîcheur et d’entrain, se termine par un chœur fugué, en l’honneur de la Providence, vigoureusement écrit. L’été commence par un air de basse que chante Simon, auquel s’enchaîne un chœur non moins vigoureux que celui qui termine le printemps. On y célèbre les bienfaits du dieu de la nature, le soleil; mais les deux morceaux les plus saillans de la seconde partie, c’est d’abord l’air pour voix de ténor que chante Lucas, pour exprimer l’accablement du pauvre travailleur :

Soleil, ton poids est trop lourd.


Ce morceau renferme à un très haut degré le genre de mérite qu’on recherche dans la musique pittoresque, de peindre à l’oreille le phénomène physique de la lassitude. Le chœur de l’orage avec les différens épisodes qui le préparent et le suivent n’est pas moins remarquable.

Le chœur de la chasse, qui fait partie de l’Automne, est un chef-d’œuvre connu et admiré depuis un demi-siècle. On n’a rien écrit de mieux dans ce genre, pas même l’ouverture du Jeune Henri, de MéhuI, qui en est une imitation évidente. Ce chant admirable, où tous les incidens de la chasse sont reproduits avec une fidélité poétique qui n’a pas été égalée, a produit sur le public du Conservatoire un effet puissant. On n’a pas moins applaudi le chœur des vendangeurs, ainsi que la chanson du rouet, qui marque le retour de l’hiver. Cette grande composition d’un vieillard de soixante-neuf ans respire d’un bout à l’autre cet amour naïf et profond de la nature, partage d’une âme chrétienne pour qui la succession des phénomènes du monde matériel est la révélation d’une providence divine. Les idées sont aussi claires, aussi sereines, aussi touchantes, pourrait-on dire, que la forme qui les exprime est limpide, simple et d’une admirable économie d’effets? Haydn ne se paie pas de mots; il parle toujours pour dire quelque chose et ne s’aventure guère au-delà des limites de son génie, celui d’un maître qui a tiré la musique instrumentale du chaos. Il est le père éternel de la musique moderne; il a engendré Mozart, lequel a engendré Beethoven et la race des titans. La postérité a ratifié le jugement que Haydn a porté lui-même sur les Saisons; cela ne vaut pas la Création. N’oublions pas que, cinq ans après la première exécution des Saisons chez le prince de Schwarzenberg, on écrivait dans la même ville de Vienne, en 1806, et sur la même donnée, la Symphonie Pastorale, le plus magnifique poème que la nature ait inspiré. Les paroles des Saisons ont été traduites en français par M. Roger, de l’Opéra, qui a chanté avec un bon sentiment la partie de Lucas, surtout le bel air de l’été : Soleil, ton poids est trop lourd! — M. Bonnehée a chanté aussi avec grand succès la partie de Simon. Les chœurs et l’orchestre ont été dignes de l’œuvre de Haydn, que le public parisien entendait pour la première fois.

Au septième concert, qui s’est donné le 5 avril, on a exécuté la symphonie