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horde de musiciens barbares qui s’autorisent de ses erreurs pour enfanter des œuvres monstrueuses qu’on destine à l’avenir, parce qu’heureusement nous ne sommes pas dignes de les comprendre.

C’est au génie de Beethoven, dont nous venons de caractériser l’œuvre grandiose et pathétique, que la France doit, sans contredit, de comprendre mieux chaque jour la poésie intime de la musique instrumentale. Il fallait Je peintre dramatique de la Symphonie héroïque, de celle en ut mineur et de la symphonie en la pour initier l’élite de la société française aux beautés d’un art mystérieux, qui semble se refuser, comme la lumière, à toute analyse immédiate, et n’avoir d’autres lois que le caprice des sens. Sans doute on exécutait à Paris, vingt-cinq ans avant la révolution, les chefs-d’œuvre d’Haydn et de Mozart; mais ce n’est que depuis la création de la Société des Concerts que le goût de la musique instrumentale s’est répandu dans une classe, de plus en plus nombreuse, de vrais amateurs. Aussi les concerts, les soirées, les matinées, les séances publiques ou intimes plus ou moins musicales, se multiplient chaque année d’une manière effrayante. Hier encore nous étions assourdis par deux émissaires de M. Listz, qui nous faisaient entendre dans les salons de la maison Érard un de ces morceaux de musique, un concerto pour deux pianos, que le célèbre virtuose écrit pour les générations de l’avenir. Que les idées et les accords de MM. Listz, Wagner et compagnie leur soient légers! Quel chaos! quels non-sens! Ah! M. Brendel, l’historiographe de la nouvelle école, a bien raison de dire que « c’est là de la musique purement spirituelle (rein geistige Musik) et non plus de la musique qui puisse se manifester en entier dans le domaine des sons[1]. » Revenons, revenons à la musique du passé, à la musique monumentale, comme dirait M. Richard Wagner, et à la Société des Concerts du Conservatoire, qui en est l’interprète le plus digne.

Ils ont inauguré la trentième année de leur existence le 11 février 1857 par la symphonie en ut de Mozart, à laquelle ont succédé les chœurs d’Une Nuit de Sabbat, de Mendelssohn, œuvre étrange, pleine de vigueur, mais non pas de lumière. Un solo de flûte, exécuté par M. Dorus sur une cantilène de sa composition, est venu faire diversion aux sombres accords d’Une Nuit de Sabbat. Il serait grandement à désirer que les virtuoses qui se produisent dans les concerts du Conservatoire voulussent bien choisir de meilleure musique pour servir de prétexte à leur bravoure. M. Alard, qui est un aussi bon musicien que M. Dorus, se contente bien d’exécuter les sonates de Beethoven, de Mozart, d’Haydn, et il n’en est pas moins applaudi pour cela. La séance s’est terminée par la symphonie en la, dont le public a redemandé l’andante. Le soir de ce même jour, nous entendions au Théâtre-Italien il Trovatore de M. Verdi avec Mlle Grisi, c’est-à-dire un mélodrame de Pixérécourt après un chant d’Homère.

Le second concert a commencé par une ouverture de Ruy-Blas, de Mendelssohn. Mendelssohn ne brille pas décidément par l’abondance des idées, et cette ouverture de Ruy-Blas, remarquable par la facture et le talent qu’elle révèle, en est une nouvelle preuve. Quelle différence avec la symphonie en si

  1. J’emprunte cette singulière citation au livre de M. Ouliluchef sur Beethoven, p. 327.