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M. de Lenz, un de ces bons et naïfs Allemands qu’on rencontre dans chaque coin de l’Europe, parlant et écrivant dans toutes les langues dont ils confondent les propriétés, a mis plusieurs années de sa vie à étudier et à classer l’œuvre immense de Beethoven, et il a consigné ses observations dans un livre curieux, publié à Saint-Pétersbourg en 1852 sous ce titre, Beethoven et ses trois styles. Nous en avons parlé ici même[1], quelque temps après la publication. Le livre de M. de Lenz a eu un certain succès et a été traduit depuis en un français un peu meilleur que celui dans lequel il fut écrit d’abord. M. de Lenz habite Saint-Pétersbourg, où il remplit des fonctions qui tiennent à la magistrature. Dans son ouvrage confus et plein d’enthousiasme pour le compositeur sublime dont il admire jusqu’aux fautes d’orthographe, M. de Lenz n’a point épargné les épigrammes à M. Alexandre Oulibichef, un Russe fort distingué, un grand amateur de musique, connu par une biographie et une étude de Mozart qui renferme d’excellentes parties. C’est pour répondre aux insinuations de M. de Lenz que M. Oulibichef a rompu le silence qu’il gardait depuis dix ans, dit-il dans une courte introduction dont nous extrayons les lignes suivantes : « Dix ans s’étaient écoulés depuis la publication de ma Biographie de Mozartt L’accueil généralement favorable que l’on avait fait à cet ouvrage semblait dès-lors lui assurer la prescription. J’avais, depuis dix ans, quitté la plume du critique musical pour me livrer à des travaux littéraires d’un autre genre. J’aimais toujours la musique, mais je ne m’en occupais plus que comme exécutant et comme amphitryon obligé des virtuoses que leur bonne ou leur mauvaise étoile conduisait à Nijni, mon séjour habituel. » Il ajoute : « Quelque charme que l’on trouve à la vie de campagne pendant l’été et quelque aguerri que l’on soit au séjour d’une ville de province pendant l’hiver, l’on éprouve toujours de temps à autre le besoin de respirer le grand air de la civilisation. » Ramené à Saint-Pétersbourg à la fin de l’année 1851 par le besoin de respirer un air plus vivifiant que celui de sa province et par la facilité que lui offrait le chemin de fer qui venait de s’ouvrir entre Moscou et la capitale de l’empire, M. Oulibichef entend parler de tous côtés de l’ouvrage de M. de Lenz, qui était encore sous presse. Après avoir lu, après avoir répondu aux principales objections de M. de Lenz par un article inséré dans un journal russe, l’Abeille du Nord, M. Oulibichef se vit obligé de donner à sa réponse de plus grandes proportions. Telle est l’origine du nouvel ouvrage de M. Oulibichef[2], qui forme un volume assez compacte, et qui est écrit dans la même langue que sa Biographie de Mozart, c’est-à-dire dans un français un peu composite, mais facile et infiniment plus correct que celui de M. de Lenz.

M. Oulibichef est un grand admirateur de Mozart. Il considère l’auteur de Don Juan et de la Flûte enchantée comme le musicien universel qui a réuni et fondu dans son œuvre divine les propriétés des différentes écoles antérieures à son avènement. A partir de la mort de Mozart, qui ferme le XVIIIe siècle, commence une ère nouvelle, celle de la musique moderne, dont Beethoven est l’expression la plus étonnante. Pour M. de Lenz au contraire, qui ne s’occupe guère que de la musique instrumentale, Beethoven est pres-

  1. Voyez la Revue du 15 août 1852.
  2. 1 vol. petit in-quarto.