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relles qu’on cherche envahi dans l’atelier et en présence du modèle. La vie extérieure était divinisée sous la forme de ces Vénus, de ces Apollon, de ces Hercule. Le christianisme au contraire appelle la vie au dedans. Les aspirations de l’âme, le renoncement des sens, sont difficiles à exprimer par le marbre et la pierre, tandis que c’est le rôle de la peinture de donner presque tout à l’expression.

Il faut aux Vierges de Raphaël cet œil pudique et voilé, cette rougeur chaste que la sculpture ne peut rendre; nous désirons dans cette Pietà de Michel-Ange le regard désespéré de la mère, cette pâleur de la mort dans le corps de son divin fils, et aussi le précieux sang de ses blessures; nous cherchons même autour de lui cette croix, ce sombre Golgotha, ce tombeau entrouvert, ces disciples fidèles. Toutes les fois que la sculpture a essayé de présenter avec un certain mouvement ces images, interdites à cause de leur expression trop véhémente, elle a produit des ouvrages monstrueux, plus voisins du ridicule que du sublime. On peut voir un exemple signalé de ce ridicule et de cette impuissance dans le célèbre bas-relief d’Alexandre et Diogène, par Puget, qu’on a vu orner si longtemps le vestibule de Versailles. L’artiste a voulu peindre (le mot m’échappe), peindre avec son marbre et son ciseau les drapeaux agités, le ciel, les nuages, tout autour de ses personnages, lesquels sont groupés comme dans un tableau, et avec les attitudes les plus diverses. Il semble qu’il eût voulu faire entendre, si l’art pouvait aller jusque-là, les cris de la foule et le bruit des trompettes; mais ce que son art ne lui permet pas davantage, c’est d’arriver à faire comprendre son sujet, dont l’intérêt réside uniquement dans le mot insolent adressé au conquérant par l’enfant de Sinope. Si le grand Puget eût eu autant d’esprit que de verve et de science, qualités dont son ouvrage est rempli, il se fût aperçu, avant de prendre l’ébauchoir, que son sujet était le plus étrange que la sculpture pût choisir; dans cet entassement d’hommes, d’armes, de chevaux, et même d’édifices, il a oublié qu’il ne pouvait introduire l’acteur le plus essentiel, ce rayon de soleil intercepté par Alexandre, et sans lequel la composition n’a pas de sens.

Cette méprise n’a pas lieu d’étonner plus que celles que nous remarquons dans des peintres de nos jours, qui ont cherché à rivaliser avec la sculpture, en abjurant les moyens qui sont au nombre des parties vitales de leur art. Animée par un louable motif, celui de rendre à la peinture une grandeur et une simplicité dont les peintres du dernier siècle s’étaient écartés de plus en plus, une école tout entière s’est éprise de la statuaire antique, non pas de son esprit, mais de sa forme même, qu’elle a fait littéralement passer dans les tableaux. Cette violence faite à la tradition, et j’oserais dire au bon sens, ne s’est pas manifestée sans des protestations d’une cer-