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le siècle de Louis XIV; mais, de ce que ces beaux génies ont imité l’antiquité, il serait injuste de conclure qu’ils n’ont fait que la continuer. Dans la tragédie particulièrement, dans la comédie, quelle différence de but et de moyens! Et en pouvait-il être autrement, à ne considérer même que la représentation matérielle de ces ouvrages et les théâtres sur lesquels ils avaient à se produire?

Il fallait, chez les anciens, à des spectateurs assemblés quelquefois au nombre de vingt mille, dans des monumens ouverts au vent, au soleil et à la pluie, avec des décorations élémentaires et faisant partie du monument lui-même, il leur fallait, dis-je, des pièces à grands traits, où les passions fussent indiquées par des actions frappantes, sans grande complication, dans une intrigue destinée à être saisie des spectateurs, placés à deux ou trois portées de trait de l’acteur. Ces acteurs tout d’une pièce parlaient dans des espèces d’entonnoirs pour être entendus de loin. Les inflexions de voix eussent été peu appréciées, aussi bien que les mouvemens délicats de la passion. Il fallait être compris du spectateur déguenillé assis sur son degré de pierre et mangeant de l’ail pendant la pièce, comme du patricien arrivé en litière et mollement établi sur les coussins apportés par ses esclaves. On se tromperait beaucoup si l’on imaginait que ces hommes, pour tout cela, fussent plus étrangers que nous aux jouissances d’une vie élégante : nous savons bien jusqu’où ils ont poussé le raffinement du luxe et des plaisirs, y compris ceux de l’esprit; mais la société comme nous l’entendons n’aurait pas eu de signification chez eux. Les femmes ne se mêlaient que de la maison, et ne paraissaient pas dans les assemblées ni au théâtre; à plus forte raison ne montaient-elles pas sur la scène. Qu’on se figure donc les plaintes d’Iphigénie ou d’Antigone débitées par une espèce de mannequin mouvant, monté sur des échasses cachées par une jupe, et la tête encapuchonnée dans un masque dont l’expression était toujours la même; Hécube avec les sourcils en l’air, la bouche ouverte aux angles pour exprimer invariablement la douleur; le Dave, le comique, avec ce rire éternel qui accompagnait ce plaisant de naissance pendant toute la durée de la pièce, même quand il recevait des coups de bâton.

Il est certaines pentes sur lesquelles il n’est pas facile de s’arrêter. Les Romains avaient reçu des Grecs ces spectacles, grossiers dans quelques-unes de leurs parties, mais s’adressant encore à l’imagination; ils les trouvèrent fades quand leurs mœurs devinrent atroces : il fallut, pour les réveiller, de véritables combats, des épées, du sang, des lions et des éléphans s’entre-dévorant sous leurs yeux, et traînant dans la poussière des hommes égorgés.

Les Grecs d’Homère n’avaient pas inventé des passe-temps beau-