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inspirait, lui redemanda la procuration qui lui donnait le droit de gérer ses biens, lui ordonna de quitter Parachino à l’instant même et de ne plus se représenter à ses yeux. En terminant, elle lui déclara que, s’il ne se soumettait pas à ces conditions, elle le dénoncerait au gouverneur, et qu’il serait envoyé aux travaux forcés en Sibérie. Mikhaïl Maksimovitch ne s’attendait pas à une pareille réception, et il écumait de rage : « Ah! c’est ainsi que tu l’entends, mon petit cygne! lui dit-il. Puisqu’il en est de la sorte, ajouta le monstre en mugissant, je vais le prendre aussi sur un autre ton. Tu ne sortiras pas de Parachino avant de m’avoir signé un acte de vente de toutes tes propriétés: si tu t’y refuses, je te ferai mourir de faim dans une cave. » Cela dit, il prit un bâton qui se trouvait dans un des coins de la chambre et se mit à en frapper sa chère Parachenka; elle tomba, mais il continua à la frapper jusqu’à ce qu’elle eût perdu connaissance. Il appela ensuite plusieurs domestiques qui lui étaient dévoués, leur donna ordre de porter leur maîtresse dans la cave ; il en ferma la porte avec un énorme cadenas, dont il mit la clé dans sa poche, puis il fit rassembler tous ses domestiques et les aborda d’un air sombre et terrible. Il les avait convoqués afin de rechercher le coupable, celui d’entre eux qui avait conduit la maîtresse dans l’isba de la basse-cour ; mais, prévoyant le sort qui l’attendait, cet homme avait pris la fuite avec le cocher et le laquais qui avaient accompagné Prascovia Ivanovna. On envoya quelques personnes à leur poursuite. La femme de chambre seule n’avait pu se résoudre à laisser sa maîtresse. Mikhaïl Maksimovitch ne la maltraita point, mais il l’enferma avec celle-ci après lui avoir donné des instructions; il lui recommanda, entre autres choses, d’engager sa maîtresse à la soumission. Que fit ensuite Mikhaïl Maksimovitch? Il se mit à boire plus que jamais; mais, hélas! c’est en vain qu’il buvait de l’eau-de-vie comme de l’eau, c’est en vain qu’une bande d’hommes et de femmes avinés recommencèrent à danser et à chanter devant lui : Mikhaïl Maksimovitch restait triste et préoccupé. Cependant il ne renonça point à ses prétentions; il fit dresser dans la ville du district, et au nom d’un de ses compagnons de débauche, un acte par lequel Prascovia Ivanovna déclarait vendre Parachino et Kourolessof (il daignait lui laisser Tchourasovo), et chaque jour il descendait deux fois dans la cave pour engager sa femme à signer cette pièce. Afin de l’y décider, il implorait son pardon et mettait les coups qu’il lui avait donnés sur le compte de sa vivacité ; il lui promettait de ne plus se représenter à ses yeux, si elle souscrivait à sa demande, et jurait que, dans son testament, il lui restituerait tous les biens dont il voulait maintenant la dépouiller. Prascovia Ivanovna resta inflexible, et pourtant elle souffrait beaucoup des blessures qu’il lui avait faites; elle était épuisée par la faim, et une fièvre ardente la consumait. »


La Providence ne permit point à ce misérable d’arriver à ses fins. Trois domestiques de Mikhaïl Maksimovitch, on le sait, avaient pris la fuite; ils se présentent inopinément devant le seigneur d’Aksakova, et lui apprennent le traitement que subit leur maîtresse. Transporté de fureur, Stépane Mikhaïlovitch s’élance dans la cour et appelle à grands cris ses domestiques et ses paysans. Une foule