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elle avaient raison ; si au contraire quelques influences bienfaisantes, quelques instincts de progrès moral pouvaient en être dégagés, à quoi bon se priver du concours de ces élémens précieux, et ne pas donner au mouvement réformateur en Russie cette base solide du caractère, national, sans laquelle les plus utiles tentatives de ce genre échouent tôt ou tard ?

La question se pose nettement, on le voit ; mais avant de chercher à la résoudre à l’aide d’un livre accueilli récemment avec un intérêt particulier par le public russe, et qui nous transporte sous le règne de Catherine II, dans cette Russie du passé si imparfaitement connue encore, rappelons un moment, pour apprécier plus équitablement les grandes mesures administratives de la célèbre tsarine, quelle en était la vraie portée, quel en était le principal but. Exciter l’attention de l’Europe, telle était la préoccupation dominante de Catherine. Pour arriver à ses fins, elle employa deux moyens, les conquêtes et les réformes. On sait quels succès obtinrent les armées russes sous le règne de cette souveraine. La Russie doit à Catherine II une partie de son vaste territoire. Après avoir réuni à l’empire la Crimée, les plaines du Kouban, les plus fertiles provinces de la Pologne, Catherine II assurait encore à la Russie, peu de jours avant sa mort, la possession de la Courlande. Comme réformatrice, Catherine n’est pas moins célèbre que comme conquérante, et tout le monde connaît son programme. C’est des écrits des philosophes français que Catherine s’était inspirée ; elle effrayait même par la hardiesse de ses vues les hommes qui étaient alors en France au timon des affaires[1]. Bien mieux, elle avait annoncé le désir de transporter dans son empire le foyer même des principes qui menaçaient d’embraser la France. Elle avait proposé à D’Alembert de continuer dans ses états la publication de l’encyclopédie. « La lumière nous vient du Nord, » se disaient avec enthousiasme les écrivains qui combattaient alors en France les abus du despotisme. L’édifice dont Pierre le Grand avait tracé le plan gigantesque, et auquel ses successeurs avaient à peine su ajouter quelques assises, Catherine se croyait appelée à le terminer. La tâche était immense, mais rien ne pouvait l’effrayer. « Dans l’étendue de la Russie, écrivait-elle à l’un de ses spirituels correspondans, un an n’est qu’un jour. » Aussi pressait-elle de tout son pouvoir la réalisation des réformes qu’elle voulait introduire dans l’administration du pays. Quel pouvait en être le résultat ? C’est ce qu’il reste à examiner.

L’état de la Russie pendant que Catherine poursuivait l’exécution

  1. La déclaration de principes que Catherine II publia en 1768 sous le titre d’Instruction pour le code fut défendue en France par la censure.