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L’exécution de ce mouvement concentrique était complète au commencement du jour. A l’heure marquée, presqu’au même moment, les trois têtes de colonnes débouchaient en vue de Narah. Le chef de l’expédition avait marché au centre avec les troupes du commandant Bras-de-Fer; il se tenait derrière le premier peloton qui servait d’éclaireur, se trouvant ainsi plus à même de diriger toutes ses forces. L’aube commençait à blanchir, et sur le fond du ciel plus clair, le Tanout dessinait sa crête nue. On vit alors assez distinctement au-dessus de nos têtes des ombres se lever, se baisser... C’étaient les vedettes ennemies, qui, entendant bruire à leurs pieds, cherchaient à sonder l’obscurité de la vallée et prêtaient l’oreille. Enfin un cri terrible d’alarme s’élève dans l’espace, la mousqueterie s’allume dans l’ombre. L’avant-garde, qui montait avec le colonel Canrobert, se découvre; les cris : A la baïonnette! retentissent; les clairons sonnent, les tambours battent la charge, les hommes s’élancent. A peine cependant les musiques de la deuxième colonne ont-elles entonné l’air enivrant de l’attaque, que celles de la première, qu’a dirigée Carbuccia, leur répondent derrière l’ennemi. Le sommet du Tanout, abordé résolument, est franchi; nos soldats se précipitent vers Narah, ils roulent comme des avalanches : leur élan est irrésistible. Les Kabyles qui occupaient les abords du village, surpris, entraînés, tourbillonnent et s’enfuient, les uns en remontant le ravin, les autres en regagnant la ville. Le 8e bataillon de chasseurs à pied, le 1er de zouaves, les sapeurs du génie de la colonne du centre, se jettent à la poursuite de ces derniers, et malgré le feu à bout portant qui part des murailles crénelées, ils couronnent vaillamment le rocher et les terrasses. Au même instant, des compagnies du 5e bataillon de chasseurs, du 8e de ligne et de la légion étrangère, qui formaient la tête de la première colonne, que j’avais l’honneur de commander, pénètrent par la porte opposée. Le commandant de Lavarande, avec le 2e bataillon de zouaves, se jette, de son côté, dans le village des Ouled-Sidi-Abdallah, qui forme la partie est de Narah, pendant qu’une partie du même bataillon, avec quatre compagnies du 8e de ligne, après avoir emporté le village des Dar-ben-Labareth, sur la gauche, achève l’investissement de la place en coupant la route à l’ennemi. Celui-ci essaie de remonter à travers les jardins; mais le commandant Levassor Sorval, secondé par deux officiers d’une rare valeur, les capitaines de Cargouët et Alpy[1], avec le 5e bataillon de chas-

  1. Depuis chefs de bataillon l’un et l’autre et tués devant Sébastopol. Le brave de Cargouët, la veille de sa mort, avait par son testament laissé une partie de sa fortune « à partager entre ceux de ses soldats qui seraient blessés dans l’affaire où il allait probablement succomber lui-même. »