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avec les arbres d’une forêt qui se trouvait fort à propos sur notre passage. A peine cependant avait-on atteint le sommet du défilé, que d’épais tourbillons de neige, comme il en tombe pendant l’hiver sur les plus hautes montagnes, vinrent obscurcir l’air au point de rendre la marche impossible. Il fallut s’arrêter dans ce site sauvage, au milieu de rochers arides, et y faire reposer le soldat. Le colonel Canrobert partagea ensuite sa colonne en plusieurs fi-actions; il donna des guides à chacune d’elles, et s’engagea lui-même à la tête de son avant-garde pour sonder le chemin, flanqué de précipices affreux que la neige dérobait aux regards. On mit près de sept heures à défiler à travers ces obstacles, et nous étions tous exténués de fatigue quand on atteignit Bahli, le premier village de la vallée sur la rive gauche de l’Abdi, où, adossé à la crête des rochers et perché comme un nid de vautours, se dressait au-dessus de nos têtes le bordj des Ouled-Azouz.

L’ordre de marche suivi par le colonel Canrobert était parfaitement approprié au terrain. Celui de la journée du 26 décembre donnera un aperçu de ses dispositions tactiques. Il était ainsi réglé : une compagnie d’élite du 1er bataillon du 8e de ligne, précédée des guides de la colonne, suivie de la section du génie pour aplanir la route en cas de besoin, et d’une demi-section de chasseurs à pied du 5e se servant d’armes à longue portée, 1er et 2e bataillons du 8e de ligne, l’artillerie, 2e bataillon de zouaves, l’ambulance, la cavalerie, 1er bataillon de zouaves, le train, demi-bataillon de la légion étrangère, les bagages des corps, demi-bataillon de la légion, la moitié du convoi arabe, demi-bataillon du 5e chasseurs à pied, seconde moitié du convoi arabe, demi-bataillon du 5e chasseurs, le troupeau, 8e bataillon de chasseurs. L’on voit tout de suite les avantages de cet habile fractionnement pour l’attaque comme pour la défense. L’artillerie, l’ambulance, le convoi, les bagages, le troupeau, sont encadrés et surveillés. Le chef de la colonne, ayant l’ennemi en tête, a sous la main une réunion de troupes toujours prête à enlever une position sans être gênée par aucun embarras, et partout où les Kabyles pourront se présenter, en face, sur nos flancs ou sur nos derrières, ils trouveront une résistance également solide et protectrice de notre marche.

Le 27, on gagna El-Haoua, en se prolongeant sous les villages de Bougrara, Haïdoussa, Tenüt-el-Abid (le défilé des Nègres), Fedjel-Cadhi, tous situés sur des penchans abrupts ou sur des rocs à pic, dans le pays le plus sauvage, le plus pittoresque, qui d’ailleurs, pour beaucoup d’entre nous, n’était pas une nouvelle connaissance. Ceux de nos camarades qui avaient fait la campagne de 1845 nous montraient sur les crêtes de gauche la trace de leur premier passage, les