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époque dans ce même commandement de Batna, et qui l’y avait rendu à ce point populaire, que les Aurésiens, dans leurs transactions, pour marquer une date, disaient souvent : am Kamroubert (c’était l’année de Canrobert). Sa petite armée comprenait les 5e et 8e bataillons de chasseurs à pied, deux bataillons de zouaves, deux bataillons du 8e de ligne, un bataillon de la légion étrangère, un escadron de chasseurs d’Afrique, un de spahis, et quatre pièces de montagne. Les bataillons, fort réduits par les combats et les fatigues, présentaient à peine un effectif de 4,000 hommes; mais les troupes dont ils se composaient étaient singulièrement aguerries, le souvenir de ce qu’ils avaient fait à Zaatcha les remplissait d’ardeur : chef et soldats, s’inspirant une mutuelle confiance, étaient prêts à tout oser.

C’est le cas de dire en passant combien les nécessités des armées actuelles nuisent à la facilité et à la promptitude des opérations en Algérie, surtout quand on aborde les pays de montagnes. Les hommes sont habitués à une nourriture fortifiante, les armes dont ils se servent exigent de grands approvisionnemens, les comptabilités des compagnies sont tenues à jour comme en garnison, la paie se fait avec de l’argent transporté à des de mulets; enfin le service des ambulances doit être assuré avec tous les soins que réclame l’humanité, et que la science moderne n’a pas simplifiés. De là l’obligation pour un chef de colonne de traîner avec lui un immense convoi et de porter son attention sur mille détails dont les hommes du métier comprennent seuls l’importance.

Le colonel Canrobert, dont la sollicitude pour le soldat en campagne est une des qualités militaires les mieux reconnues, était alors parfaitement secondé par un jeune chef d’état-major, le capitaine Besson. Le plan du commandant était de prendre la vallée de l’Abdi à sa naissance et de la descendre vers Marah, après avoir forcé successivement à l’obéissance tous les villages de la vallée supérieure.

Le jour de son départ, la colonne expéditionnaire alla camper à Neze-Dira, au pied de bois magnifiques; elle avait longé en passant les ruines de Lambessa, connues alors seulement par les fouilles et les rapports de Carbuccia.

Le 26 décembre, de grand matin, on se mit en mouvement pour gravir le défilé du Plomb (Tenüt-Ressas), qui conduit de la plaine dans l’Abdi. Là nous attendaient nos premières épreuves; nous étions déjà à une assez grande hauteur : à mesure que nous montions, le froid le plus vif se faisait sentir; les difficultés du chemin forçaient à chaque instant la colonne à s’arrêter. On profitait de ces temps de halte pour aplanir la route et réchauffer les hommes, dont les membres commençaient à s’engourdir, à de grands feux allumés