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du 2 juin 1844 : « Les Djebel-Aurès ne sauraient être considérés comme soumis; la résistance y est seulement décomposée et non détruite. »

Le jeune commandant de la province de Constantine ne se trompait pas dans ses prévisions. Il fallut, peu de temps après, revenir encore en armes dans l’Aurès. C’est le général Bedeau qui y ramena nos troupes (1845). La résistance alors fut peu énergique. Après l’avoir vaincue, on organisa le pays en deux commandemens. La partie orientale reçut pour chef Arbi-Boudiaf, de la famille des Ouled-Kassem; la partie occidentale, Bel-Abbès, fils d’un marabout de Menah, qui avait joui d’un grand renom de sainteté. Le jeune Bel-Abbès n’hérita ni des vertus ni de l’influence de son père; il se laissait trop entraîner au courant des mœurs faciles qui règnent dans ces contrées. C’est à Menah, sorte de Capoue du pays kabyle, que se pratique le divorce à la guerba. Quand une femme ne veut plus de son mari, elle va à la fontaine, rendez-vous de toutes les intrigues amoureuses, avec sa peau de bouc, sa guerba. Au lieu de la remplir d’eau, elle la gonfle de vent, puis elle revient, accompagnée de l’amant dont elle a fait choix, vers le maître qu’elle est résolue à quitter, jette contre le mur l’outre vide, et prononce la malédiction : Imäl-Bouik ! « que Dieu maudisse ton père! » C’est une formule de congé définitif. Le mari ne peut pas en appeler, et il n’a rien à réclamer de celle qui l’abandonne que la dot qu’il a payée, c’est-à-dire quelques baceta, que fixe souvent la djemma, l’assemblée des notables. Une dot ne s’élève guère à plus de 25 ou 30 baceta (la baceta est de 2 fr. 50 cent.). C’est pour accroître leur population que les Ouled-Abdi facilitent le plus possible le mariage en se donnant entre eux leurs filles au plus bas prix. Les conditions pour un étranger sont bien moins favorables que pour un homme de la tribu. Dans un pays où les mariages sont si faciles, où le divorce s’accomplit avec des formes si expéditives, l’adultère n’a point d’excuse ni de pardon; le mari a le droit de tuer quiconque dans sa maison outrage son honneur. Une aventure de ce genre, suivie du meurtre d’un parent de Bel-Abbès, caïd de Menah, fut une des causes de la première révolte de Narah. Ce soulèvement, précurseur de celui des Ziban, éclata au printemps de 1849.

Le colonel Carbuccia, de si regrettable mémoire, commandait alors la subdivision de Batna. Voulant étouffer le feu avant qu’il éclatât, il partit brusquement à quatre heures du soir par Ksour et la vallée de Bouzina. Le lendemain, à la chute du jour, il était au pied de Narah, ayant franchi en vingt-quatre heures, avec de l’infanterie, un espace de près de vingt lieues, à travers un pays hérissé d’obstacles. C’est une des courses les plus rapides et les plus hardies